
Longtemps, j’ai jugé le bonheur supérieur à la joie (et, rétrospectivement, je trouve cette formulation, cette seule formulation, insupportable), mais j’ai, au terme d’une révolution sur moi-même, d’une longue révolte de la forme sur le fond et du corps sur l’esprit ; j’ai progressivement, retrouvant mon unité et ce faisant mon identité, appris à aimer la joie, cette joie longtemps dédaignée parce que courte et superficielle ; appris à aimer la joie et peut-être à la préférer au bonheur.
Je vois, je ressens la joie comme un élan, un mouvement, un saut de l’ange dans le bel inconnu de la vie. Elle est cette pulsion créatrice dont le bonheur est comme la dérivée mathématique : un état calme et tranquille, une plénitude dont on jouit mais où tout s’apaise, rien ne venant y déplacer les lignes.
La révolution dont je parlais est générale : c’est la revanche de l’écume sur la houle, de l’apparence sur l’essence, du faire sur le dire, du petit sur le grand, du concret sur l’idéel, du « Tiens » sur le « Tu l’auras », de ce qui est donné ou conquis aujourd’hui sur les promesses du lendemain. Je ne crois plus trop à la profondeur. Ou plutôt je sens qu’il n’y a de vraie profondeur que dans l’acceptation pleine et entière de la surface, de vrai spirituel que dans les épousailles avec le corporel ; qu’il n’y a de légèreté que dans la danse avec la pesanteur et de musique que dans le jeu avec le silence ; qu’il n’y a rien de plus superficiel que ce regard, cette conception dualiste qui cherche toujours à distinguer, à opposer un fond et une forme, un terrestre et un céleste, un éphémère et un éternel, là où il n’y a que l’épaisseur et l’unité. Rien de plus prétentieux, de plus stupidement prétentieux que de nier cette unité puisque c’est en elle, justement, que réside la dignité faite d’absurdité, l’éclat plein de noirceur et de doutes de cet être dont les pieds sont dans la boue et la tête dans les étoiles.
Au bonheur, je crois finalement préférer la joie ; elle est plus palpable, plus immédiate, moins prétentieuse, moins susceptible aussi de faire le lit des cauchemars.
Et peut-être même un jour, finissant ma révolution, préfèrerai-je la tendresse, la simple, douce et légère tendresse, à l’amour, compliqué et solennel, lourd et un peu encombrant.
Derrière ma lecture, La tendresse, cette chanson de Noël Roux et Hubert Giraud qui fut chantée pour la première fois et popularisée par Bourvil, dans la belle et simple version de Juliette Magnevasoa
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