Entre la sobriété imposée de la pensée collapsologique et celle qui ne pourrait prospérer que sous le contrôle de gourous ou de grands inquisiteurs, poliçant la pensée et les désirs, il faut inventer le chemin vers une frugalité non seulement heureuse mais joyeuse ; une frugalité énergique, positive, individuelle, libre et solaire.
Étiquette : condition humaine
Peut-être notre génie propre, notre capacité à représenter le monde, à le penser, à le rationaliser (et notre propension à l’instrumentaliser qui l’accompagne) découle-t-elle de cette angoisse, de cette panique première face aux choses, de ce renfermement initial de l’esprit sur lui-même pour éviter qu’il ne soit débordé. Et de là les dessins, les mots, les sciences et les arts.
Nous avons tendance à tout vouloir perfectionner, y compris ce qui travaille contre nous et contribue objectivement à la destruction de l’environnement et au pillage du monde : faire mieux est chez nous un ressort plus puissant que faire bien.
Je me demande s’il n’y a pas, dans notre amour du maquillage, de la coiffure, de la scarification, du vêtement, de la mode, dans notre recherche continuelle de ces atours qui à la fois nous fondent et nous distinguent, le désir de pousser plus loin encore, serait-ce en le brouillant, ce jeu délicieux de l’habit et du moine, du rôle et de la reconnaissance.
Sans doute une part de l’humain est-elle dans cette distraction chronique, dans cette difficulté à rester mobilisé vers un objectif unique, dans ce dilettantisme constant de l’attention qui est à la fois ravageur et fécond. Ravageur parce qu’il interdit d’approfondir, qu’il gêne l’étude et le travail arides ; fécond parce qu’il permet d’évoluer, de passer à autre chose et, parfois, dans ce cheminement vers autre chose, de mieux revenir à ce qu’on a quitté.
Des techniques conçues pour industrialiser la mort, naquit l’industrie moderne qui, dotée de ces capacités massives de production, put ensuite les employer à la fabrication massive d’armes et permettre cette guerre totale dans la noirceur de laquelle est né notre monde moderne.
Nous avions pensé pouvoir échapper à la frénésie et à la compulsion, nous avions espéré ne plus vouloir tout voir, tout toucher, tout visiter, tout manger ; mais à peine sommes-nous sortis du jeûne qui nous avait été imposé que, sans période de viduité, notre appétit d’ogre est revenu, accru encore des frustrations accumulées pendant ces quelques mois de carême.
Nous aimons la transparence mais en même temps les replis, ce qui rend les êtres retors, voire un peu pervers : les assassins au grand coeur, les nonnes licencieuses, les bourreaux amateurs de musique, les concierges spécialistes de littérature – tout ce qui permet de donner épaisseur et suprise à l’image simple que nous nous faisons des êtres.
Nous sentons et savons les liens indissociables, de nécessité mais aussi d’amour, qui nous rattachent au reste du vivant, à la multitude des êtres de la Maison commune mais avons du mal à les reconnaître et à agir en conséquence. Nous aimons, dépendons et détruisons ce dont nous dépendons et que nous aimons. C’est un comportement intrinsèquement inauthentique, qui crée une dissonance cognitive et nous plonge dans un immense désarroi, si ce n’est même dans la tristesse. C’est cela aussi que racontent les mythes du Péché originel et du dresseur de chevaux.