Il semble que les occupations récentes de certaines universités, notamment celle de Tolbiac, aient donné lieu à des dégradations de locaux et de matériels. C’est évidemment regrettable et on a bien raison de s’en indigner.
Cette indignation s’est perçue sur les réseaux sociaux où l’on a pu lire de nombreux commentaires à ce propos.
Mais on constate que nombre de ces commentaires, qui visent justement à condamner les dégradations commises, commencent par une formule de précaution qui est souvent : “Je suis de gauche mais”.
On dit couramment que, dans une phrase où figure un mais, seul ce qui suit ce mot est important. Or c’est ce qui le précède qui m’intéresse ici, cette déclaration préalable, cette exposition liminaire de l’endroit d’où l’on parle, cette précision qu’on croit nécessaire d’ajouter, probablement parce que sans elle, notre parole serait considérée comme moins légitime.
Il est paradoxal qu’exprimant une parole de vérité : “Il n’est pas bien de dégrader les biens publics quand rien ne vous y force”, on se croit obligé de la légitimer par un propos introductif comme si elle ne se suffisait pas à elle-même. Comme si, dite par une personne de l’autre camp, cette vérité n’en serait plus une. Comme si la véracité de la vérité dépendait de la personne qui l’exprime.
Nous faisons tous cela, moi le premier, je le sais bien. Chaque fois qu’il nous faut exprimer une vérité un peu difficile (et la vérité est souvent difficile), une vérité un peu inconfortable (et la vérité est souvent inconfortable), nous la revêtons de multiples habits, la couvrons de multiples voiles pour que son éclat nous blesse moins, nous – habitants de la caverne. Nous jetons, comme Tartuffe, un mouchoir gêné sur sa superbe et criante nudité, marquant d’avec elle une distance hypocrite : “je dis cela mais ça ne m’engage pas vraiment ; ne me jugez pas mal pour autant.”
Nous nous excusons de dire la vérité, comme s’il était criminel de la défendre, comme s’il était besoin de la justifier d’une façon ou d’une autre : lâcheté quotidienne que quotidiennement nous commettons, et qui consiste à prendre la vérité avec des pincettes, comme si elle n’était pas fréquentable.
Je connais des personnes qui n’agissent pas ainsi. L’histoire en connaît aussi, qui sont souvent des femmes, Antigone, Simone Weil. Il y a aussi des hommes : Charles Péguy, Georges Bernanos, ces quelques mystiques de la vérité qui refusaient, comme l’écrivit je crois un jour Emmanuel Berl, que la vérité se mette en uniforme.
Il faut apprendre ce courage.
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Ah le courage d’Etre 🙂 Quand on comprend que l’on ne maîtrise pas l’avis d’autrui, alors, on ne se justifie plus. Je le fais de moins en moins, mais dire que j’en suis totalement affranchie serait faux. Enfin, pas pour la politique, car j’ai des avis, des analyses et opinions hors parti 🙂 Par contre je “suis non-violente” et il n’y a pas de mais. Pour moi, rien ne justifie la violence, même si je la “pardonne”. J’aimais bien les “Nuit Debout”, dommage que l’on oublie vite certains concepts parce qu’ils prennent du temps avant d’émerger sur un consensus et des actions.
C’est-à-dire qu’on peut s’attendre, de la part de gens de gauche, à ce qu’ils prennent parti pour les étudiants. Comme ils défendent le point de vue opposé, ils croient bon de préciser qu’ils sont habituellement de gauche (mais pas sur ce sujet des dégradations ), ce qui laisserait entendre que ces dégradations estudiantines sont vraiment inacceptables puisque même des gens qui devraient leur montrer de l’indulgence, les trouvent révoltantes. Aussi, je vois cette assertion “je suis de gauche mais …” comme plutôt un renforcement de la condamnation des dégradations.
Peut-être mais je le comprends moins comme un renforcement de la condamnation que comme l’expression d’un malaise à assumer sa position. (et, encore une fois, je suis le premier à agir de même. Il n’empêche).
Belle reflection,Aldor. Merci ☺