On l’a souvent dit : les réseaux sociaux sont, dans nos sociétés, des poches de violence.
Ils le sont clairement lorsqu’on y trouve des appels directs à la violence et au meurtre. Mais ils le sont aussi, même si c’est avec une moindre intensité, au travers de la vulgarité, de l’utilisation coutumière d’expressions ou de termes orduriers qui y est faite, que ce soit pour dépeindre la situation, présenter l’adversaire ou s’adresser à lui.
La violence, ici, n’est pas dans le sens des mots. Elle est dans la façon de les utiliser, de les enchaîner les uns aux autres, dans le langage.
Le langage est, pour l’homme, et peut-être pour d’autres animaux, non seulement le véhicule de la pensée et du lien social mais ce qui pour une part les engendre et leur donne forme. C’est le langage qui, en grande partie, génère et structure le lien social.
La vulgarité, cette façon de salir les choses par les mots, qui va le plus souvent avec le fait de les simplifier abusivement, de mettre dans un grand et même sac des choses qu’il serait plus juste et honnête de distinguer les unes des autres, structure donc le lien social d’une façon particulière qui va dans le sens de son durcissement, de sa rigidité : elle n’accroît pas la fluidité et la souplesse du lien social ; elle n’en génère pas ; elle le dégénère.
C’est évidemment tellement tentant – je le sais ! – de simplifier les choses, de mettre les rieurs de son côté par un bon mot, de jeter l’opprobre sans trop entrer dans les détails parce qu’on sait qu’une foule sera prête à hurler avec les autres loups, à agir comme ces poules dont parle Simone Weil qui se précipitent, assoiffées de sang, dès lors qu’une de leurs congénères est blessée. C’est tellement tentant de se laisser aller à cette tentation, d’y céder !
Mais être vulgaire et ordurier, même quand ce ne sont que des mots, et même quand ces mots ne sont ni des insultes ni des injures, n’est pas rien. La vulgarité, dans le débat et la discussion, dégénère le lien social. Elle le sape insidieusement.
PS : il y a évidemment vulgarité et vulgarité. La vulgarité n’est pas dans le gros mot qui peut être la meilleure façon de dégonfler des baudruches emplies de vent. On peut d’ailleurs jurer et être pourtant d’une grande délicatesse ; j’en connais. Non, la vulgarité dont je parle ici se traduit dans les mots mais en déborde.
…Et inversement, comme on me l’a fait justement remarquer, il y a d’autres attitudes, apparemment très polies et respectueuses, qui participent de cette dégénérescence du lien social parce qu’elles aussi ne respectent pas les différences.
Je présume que le mot “Merdia” dans mon article a alimenté ta réflexion. La vulgarité ne me caractérise pourtant pas, l’erreur ou le manque de discernement oui comme tout être humain. La question est : la vulgarité est-elle simplement dans les mots ?
Oui, absolument. Et je sais bien à quel point tu es au cntraire attentive à ne pas l’être. C’est justement ce qui m’a ému, cette contagion.
Et bien sûr que la vulgarité n’est
pas seulement dans les mots. C’est partout qu’il faut lutter contre elle !
Bonne journée.
ce n’est pas une contagion, cela m’arrive de temps à autre, et m’arrivera encore. Cela a toujours été en moi, comme faisant partie intégrante d’une dualité et de contradictions. Et je ne suis pas d’accord avec toi, j’ai un boss brut de pomme, souvent vulgaire, et un homme en or. Coluche l’était aussi. Encore une fois, j’assume, et cela ne sape nullement le débat, au contraire. La preuve 🙂
C’est une réponse de Normand, Christelle, mais il y a vulgarité et vulgarité : jurer n’est pas forcément vulgaire et on peut être vulgaire sans être vulgaire…
La vulgarité dans les mots, dans la manière d’être, dans les pensées même sont des parasites pour faire avancer les choses. Pourtant, certains publics ne comprennent que cela… ! Alors, l’incompréhension règne et persiste…
Je pense qu’utilisée à très bon escient, et avec grande parcimonie, elle peut être efficace. Mais quand elle remplace l’argumentation, elle parasite tout, effectivement, Catherine.
“Lutter contre la vulgarité”… c’est un combat impossible : les réseaux sociaux favorisent la vulgarité et l’encouragent (pas seulement par l’anonymat mais aussi par la spontanéité des interventions et leur minimalisme). Dans la vraie vie, peut-être y a-t-il plus de retenue, mais ce n’est pas certain… La vulgarité n’est pas la seule attitude à “dégénérer le lien social” hélas !.. Que dire du “mépris de l’autre”, de la condescendance, du jugement péremptoire, de l’opposition systématique, etc…
Tu as raison. J’ai probablement une sorte de réflexe de classe. Mais si on en reste aux mots, la condescendance est effectivement une autre façon de plaquer du tout fait sur la réalité. Et donc de saper le lien social.
Tout à fait d’accord avec toi … Cette amplification de la vulgarité est partout, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la rue, en voiture, dans les attitudes. Est ce le signe d’une désagrégation de notre société ?
Je ne sais pas, Catherine. Je conçois la vulgarité un peu comme un uniforme qu’on porterait et qui, disant de lui-même une partie du message hostile qu’on veut porter, nous ôterait la peine d’avoir à la faire. Une sorte de blouson noir, qui n’empêche évidemment pas d’avoir en fait un grand cœur mais qu’on affiche pour montrer que. Mais ça rend les choses plus difficile parce qu’il faut plus de peine pour nouer le dialogue…
C’est tellement vrais ce que tu écris Aldor. J’adhère à ta définition de la vulgarité qui gangrène les réseaux sociaux. Bonne soirée mon ami.
Merci Charef. Bonne soirée à toi aussi , au delà de la mer.
“On peut d’ailleurs jurer et être pourtant d’une grande délicatesse”…..oh que oui! 🙂
Ah ? Tu en es une autre ? (Je ne parle évidemment pas de moi)
oui et ça remonte à mes 11 ans quand j’ai intégré un internat donc oui c’était une forme de ‘réseau social’ qui m’a amenée à modifier mon langage oral pour ne plus avoir l’air d’être une extraterrestre……et malheureusement ça reste plus ou moins….aussi je remercie mes petits-fils d’être nés et de me donner l’occasion d’être attentive à ma façon de m’exprimer 🙂
C’est l’intérêt des générations qui suivent : elles nous font sentir notre âge mais elles nous rajeunissent aussi.
J’aime beaucoup cette image de l’uniforme qui rompt avec la communication,merci Aldor 😊