La puissance


La puissance est ce débordement, cette tentation de l’abus qui vient comme un vertige à ceux qui ont, ne serait-ce qu’un instant, acquis du pouvoir. Et l’humilité est ce sourire triste et désabusé qui vient aux lèvres de ceux qui assistent à ce débordement.

Il venait aux lèvre de cette présidente de colloque qui, hier soir, voyait les orateurs systématiquement déborder leur temps de parole, ne tenant aucun compte des besoins des autres et de l’intérêt de tous, entraînés seulement par leur volonté de parler et par leur égoïsme. Il vient aux lèvres de tous les malheureux qui subissent la force, l’expansion, le manque de retenue de plus forts qu’eux.

La puissance n’est pas affaire de puissance sociale, non plus que de richesse même si Bernanos appelle riches ceux que j’appelle ici les puissants. On la retrouve dans tous les milieux, dans toutes les classes, et chez chacun d’entre nous sans doute dès lors qu’un petit pouvoir a été conquis et qu’on n’a pas su résister à l’appel de l’abus, à la tentation de pousser plus loin son avantage. Ce sont les enfants, souvent, qui en font les frais, comme ce Luka de la chanson de Suzanne Vega qui introduit et clôt mon propos.

La puissance, c’est ce débordement, cette hubris, ce manque de clémence dont parle Simone Weil à propos des Athéniens et des Corinthiens, qui résulte souvent de la seule dynamique : on a fait effort pour acquérir un petit pouvoir et cet effort poursuit ses effets une fois arrivé au but et nous entraîne au delà, dans une sorte d’expansion, de volonté de puissance qui déborde et bouillonne. Il faut être très sage ou saint pour ne pas se laisser entraîner, pour avoir la force de renoncer à cette puissance qui s’offre à nous. Telle est la sagesse de Dieu, disent la Kabbale et Simone Weil qui parlent de Tsimtsoum ou de décréation.

Cette puissance, c’est l’égoïsme, ce manque total d’attention aux autres auquel on laisse libre cours et qui n’est parfois que le dernier avatar de ce long effort, de cet effort d’une vie qui consiste à apprendre à se tenir debout, seul, sans avoir besoin des autres, sans avoir besoin de l’appui et de l’assistance des autres. On naît totalement dépendant des autres et de leur affection, et grandir est en partie apprendre à ne plus être dépendant, à ne plus avoir incessamment besoin d’amour, peut-être. Et ceux qui y arrivent (mais y arrive-t-on vraiment ?) basculent parfois, eux aussi, sur cet autre versant où la non dépendance s’assombrit.

Et on ne peut alors que tristement sourire, en penchant la tête.

Aldor Écrit par :

4 Comments

  1. 5 décembre 2018
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    Quiconque a un pouvoir même petit profite de cette puissance …
    Ce temps de parole dont tu parles, lors d’un colloque, je l’ai vécu! Ce temps de parole coupé alors que ces paroles étaient très intéressantes mais le temps est depassé … 😤. Merci pour cet article et ta voix très agréable.

  2. 7 décembre 2018
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    Merci de ce bel article et de tes observations toujours justes ! Cette puissance que tu décris je la vois souvent hélas, et elle entraîne un rapport de force, presque une prise de pouvoir sur l’autre … Quand à l’humilité, j’aime beaucoup ce que tu es dis,je n’avais jamais remarqué que l’on pouvait la voir dans un sourire …

  3. 11 décembre 2018
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    la puissance ne peut-elle aussi s’appliquer à cette force intérieure que certains appellent foi, que j’appelle énergie et qui soulève les montagnes ?
    Chaque mot a toujours une double face. Enfin, je pense.
    Mais pour la partie négative, je suis d’accord avec toi.
    Reste la définition d’Yves Simon, dans sa chanson J’ai rêvé New-York.
    « Monsieur Gregory Corso, Qu’est-ce que la puissance ?
    Rester debout au coin d’une rue, et n’attendre personne. »
    Bisous
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

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