Le sourire de Gabriel


Il y a le sourire de Gabriel, qu’on voit planer sur les lèvres de l’ange de l’Annonciation, par exemple sur cette jolie statue rencontrée à Dixmont, sur le chemin de Vézelay.  Ce sourire, qui est aussi celui du Ravi des santons de Provence, émane de l’intérieur et n’est destiné à personne. Il est la manifestation d’un état intérieur et exprime seulement le plaisir, le bonheur, le contentement d’être là, de voir ce que l’on voit, de vivre ce que l’on vit. C’est une pure grâce.

L’ange Gabriel sur le porche de l’église Saint-Gervais-et-Saint-Protais de Dixmont

Il y a le sourire d’intention. C’est le sourire social. Celui de l’accueil, de la prière, du remerciement et de la bienveillance. C’est le sourire du lien. Le sourire qui montre notre souhait d’entrer en relation, ou d’y demeurer, comme le faisait cette oratrice, dans un colloque, l’autre jour, qui ponctuait ses phrases de sourires. Non pas pour séduire, comme le pensent les grossières gens, mais pour poursuivre et entretenir le lien, même quand les paroles étaient de négation. Ce sourire là est une autre façon de pencher gentiment la tête vers notre interlocuteur pour montrer notre attention et nos bonnes intentions. C’est le sourire que Quentin de La Tour a mis sur le visage d’Alembert, quand il en a fait le portrait.

Jean d’Alembert peint (au pastel !) par Maurice Quentin de La Tour

Ce peut-être un sourire faux et hypocrite,  commercial. Mais c’est le plus souvent un sourire vrai, qui montre simplement, d’une façon à la fois très humaine et très animale, notre plaisir de cette relation partagée et notre désir de la poursuivre.


Il peut enfin arriver qu’on désire montrer, faire voir, afficher le premier sourire, celui qui n’est fondamentalement destiné à personne et dont la valeur, le charme, la magie, résident dans la discrétion,  l’inconnaissance.

C’est dans ce mélange des genres et des fins, dans cette pose, dans cette démonstration de ce qui devrait demeurer secret que la mauvaise foi se fraie un chemin : on ne se contente plus d’être, on veut montrer qu’on est, comme ces adolescents (ou plus vieux encore…) qui prennent, devant l’objectif du photographe, un air plein de mélancolie, un air affecté. On manipule,  on instrumentalise, on prostitue alors un peu la grâce,  qui devient un instrument détourné d’autopromotion. On est plus dans l’être mais dans le paraître, dans la représentation – et cela ne vaut plus rien.

Aldor Écrit par :

3 Comments

  1. Ce portrait de Quentin de La Tour est merveilleux. Disons, à propos du sourire, qu’il est aussi une convention sociale (par exemple, pour se saluer) et qu’il est souvent de pure façade. Mais quand il vient du cœur il fait du bien !

  2. Je pense que le sourire fait du bien, même quand il est un peu forcé. Sourire, Aldor.

  3. Merci pour cette belle réflexion et ce magnifique portrait, si bien choisi qu’on reçoit votre article comme un sourire de plaisir de partager.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.