Il y avait l’autre jour sur Arte une très intéressante émission où l’on apprenait que, dans un certain nombre de pays, l’eau est devenue une marchandise qui s’échange sur des marchés, qui est côtée en bourse et qui a un prix qui permet à certains d’en disposer, d’autres devant s’en priver, alors même qu’il s’agit d’une ressource vitale.
La question implicitement posée par ce reportage est celle de savoir comment doit s’organiser l’accès à un bien essentiel dès lors que la ressource devient limitée – ce qui commence à être le cas de l’eau.
Tant que le bien est abondant – ce que fut historiquement le cas de l’eau dans nos pays, et ce qui est encore le cas de l’air – il n’y a aucune problème : chacun y accède comme il veut, selon ses besoins ou ses désirs, comme dans la définition du communisme donnée par Louis Blanc et reprise par Karl Marx. Mais quand la ressource est contrainte, comment fait-on ?
Trois solutions ont été historiquement proposées : on ne fait rien ; on réglemente l’accès par les prix ou on réglemente l’accès par la planification.
La réponse qui paraissait avoir les faveurs des réalisateurs du reportage était celle du libre-accès, du bien public dont l’usage n’est pas réglementé : faisons aujourd’hui comme on faisait hier. Mais cette réponse, qui paraît la plus généreuse et la plus bienveillante, n’est en fait pas une réponse, et elle n’est pas bienveillante. Lorsqu’un bien vital est sous contrainte, permettre à chacun d’y accéder comme hier et comme si de rien n’était revient à donner une prime à ceux qui disposent déjà de la ressource, et qui éventuellement en abusent, ou qui sont à proximité immédiate d’elle, ou qui disposent d’un certain pouvoir, au détriment de ceux qui sont loin ou qui ne sont pas encore dans le circuit, notamment les générations futures. Faire comme si de rien n’était, c’est autoriser les gros utilisateurs d’eau à continuer à la gaspiller, en prenant le risque d’en priver (puisque, par hypothèse, la quantité est limitée) ceux qui arriveront demain et qui, par construction, ne disposent d’aucun droit historique. On joue les belles âmes mais on sert les puissants.
La deuxième solution, extrêmement décriée, consiste à mettre l’eau sur le marché : l’eau acquiert ainsi un prix qui est représentatif de l’utilité qu’elle a pour ses utilisateurs et qui incite à ne pas la gaspiller. Le système place tout le monde sur un pied d’égalité ; il n’y a de prime ni aux puissants ni aux anciens et les générations futures ne sont pas sacrifiées. Il s’agit donc d’un système plus vertueux – à ceci près que si les capacités financières sont très inégales (et c’est ordinairement le cas), les riches peuvent évincer les pauvres, et remplir leur piscine tandis que d’autres ne peuvent prendre de douche. Il y a par ailleurs des phénomènes spéculatifs, du genre de ceux que l’Ancien régime et la Révolution ont connus avec les accapareurs de grains, qui gênent le fonctionnement idéal.
La troisième solution historique, enfin, consiste à ne pas confier la répartition au marché mais à un groupe de sages ou à l’Etat. C’est la planification telle que tentée il y un siècle par l’Union soviétique : on réfléchit le mieux possible aux besoins des uns et des autres, on compare à ce qui est et sera disponible et on essaie d’optimiser la répartition des biens entre les uns et les autres. L’idée est séduisante mais ses principaux inconvénients sont connus : il faut avoir une connaissance exhaustive des besoins et c’est donc très lourd ; le mécanisme a une très forte inertie et est peu capable de réagir à l’inattendu ; enfin les attributions étant garanties, il n’y a aucune incitation à l’efficacité.
Aucune de ces trois solutions n’est donc parfaite et c’est probablement une solution mixte qu’il faut imaginer : sans doute un prix (parce qu’il incite à être économe), pas forcément fixé par le marché mais éventuellement par l’Etat, et qui soit accompagné soit d’aides aux plus pauvres, pour qu’ils ne soient pas privés du bien vital, soit d’une tarification par tranches (les premières quantités étant moins chères, pour couvrir les besoins essentiels, et le prix augmentant ensuite progressivement) – système qui présente néanmoins des inconvénients divers même s’il paraît tentant.
…Mais la première leçon que, pour ma part, j’en retiens est que ce qui paraît le plus gentil n’est pas forcément le plus gentil ; et que les meilleures réponses sont aussi parfois les plus compliquées.
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On touche là à la limite extrême de la folie humaine : ou comment vivre sur une planète qui offrait tout à profusion à tout le monde, en ayant honteusement gaspillé et confisqué les biens vitaux de tous au profit de quelques uns…
C’est ce qui causera l’extinction de notre espèce, soyons-en bien persuadés !
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Oui, Célestine, tout cela est affligeant.
Je pense toutefois que le pire n’est pas sûr. Et heureusement !
Comme Célestine je trouve que ce monde devient fou, même si, comme tu le soulignes justement, il faudra tôt ou tard prendre une décision qui est loin d’être simple !
Amitiés Aldor.
Bonjour Catherine,
Il devient fou ou l’est depuis longtemps mais cela s’accumule. Et plus on tarde, plus c’est difficile.
C’est ainsi !
Oui tu as raison, ça s’accumule ! Il y a une telle urgence et je n’arrive pas à comprendre que certains ne se sentent pas concernés. Heureusement la génération des plus jeunes arrive. Amitiés.