Je descendais hier des Saisies à Hauteluce, sous un ciel émerveillé, parmi des prés dont une neige fraîche arrondissait voluptueusement les formes. Face à moi se dressait, magnifique dans le bleu, la haute muraille du Mont Blanc et je n’ai pu m’empêcher, à quelques moments, de m’arrêter pour le photographier, ce dont je me suis voulu, regrettant de céder à ce besoin impulsif du partage.
Puis y repensant cette nuit et ce matin, je m’en suis voulu de m’en être voulu.
Ce qui m’avait poussé, me suis-je dit, ce ne sont pas seulement les travers de notre époque cinématographique et selfique, c’est quelque chose de plus profond et de plus ancré au coeur d’homme, ce besoin, cette envie que nous avons toujours – presque toujours – de ne pas nous contenter de la beauté ou du bonheur mais de vouloir, par redondance et résonance, les chanter, les clamer, les peindre, les partager. Jouir du bonheur ne nous suffit pas ; il nous faut au surplus le faire savoir, dans un mélange de générosité et d’indécence.
Au moins pour certains d’entre nous. Car pour d’autres – et j’en connais ! Et je comprends aussi cela – les bonheurs partagés sont comme des vins éventés dont le parfum, trop exhalé, aurait perdu sa saveur. Pour ces autres, le partage est indécence, et la vraie beauté, le vrai bonheur, se doivent d’être pieusement et chastement gardés dans le secret du coeur.
Et en chacun d’entre nous, ces deux conceptions coexistent.
La fin de journée venue, un autre mot me vient, plus juste qu’indécence, celui d’impudeur. Je le rajoute au titre.
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Est-ce qu’être témoin de la beauté ne te donne pas aussi le sentiment d’être, sinon élu, du moins l’objet d’une intention ? Une autre réponse, à laquelle je ne peux me dérober, est de faire ce que tu fais ici, d’écrire. Pour partager, peut-être, mais surtout parce que la joie (l’amour) déborde – et on écrirait (peindrait, chanterait) quand personne ne serait là pour nous lire. Je radote, mais Jaccottet disait quelque part que cet écho dont nous sommes le canal fait partie du mouvement du monde montant vers son accomplissement. Il ne le disait pas comme ça, mais c’est en tout cas ce que j’ai compris, et que je ressens.
Ce que tu dis du débordement, de ce flux auquel nous ne saurions résister est très joli, Chère Frog.