Bottes de cuir


Que Diana Rigg, qui incarna avec tant de talent le personnage d’Emma Peel dans le feuilleton Chapeau melon et bottes de cuir, ait pu, comme Le Monde le relate, se sentir « rabaissée, parce que j’étais tellement bien plus que cette simple image de femme sexy », voilà qui m’attriste, plus encore peut-être que sa mort, regrettable mais hélas inévitable.

Et voilà aussi qui interpelle.

Par quelle étrange tournure des choses et de l’esprit a-t-elle pu se sentir rabaissée, elle qui séduisit beaucoup moins par sa beauté et son physique, ses bottes de cuir, que par son charme, son humour, sa pétillance, sa grâce ? Comment a-t-elle pu croire qu’elle devait son succès à son statut d’icône sexy, alors qu’elle était au contraire le symbole d’une féminité libre et émancipée ?

C’est justement là, peut-être, le nœud du problème : Diana Rigg, qu’elle eut 30 ans dans Avengers ou 80 dans Game of Thrones, ne pouvait se réduire à un sex symbol, du genre de Jane Fonda dans Barbarella ; mais elle était, dans sa tenue, son attitude, son comportement, sa façon d’être de chaque instant, une égérie quasi-parfaite, une incarnation achevée de ce que notre culture, notre société, ou du moins ceux des hommes qui la composent, appellent féminité.

À 30 comme à 80 ans, elle était malicieuse, réfléchie, subtile, souriante, profonde, gracieuse, élégante, remplissant ainsi tous les critères, tous les canons ordinairement associés à ce mode d’être (je ne sais pas très bien comment le qualifier autrement) : de la pointe des cheveux au bout des ongles, Diana Rigg était profondément, essentiellement, superbement féminine.

Que cette féminité soit en grande partie une construction sociale et culturelle, le fruit d’une époque, d’un lieu, d’une civilisation : bien sûr – comment pourrait-il en aller autrement ? Mais n’est-elle que cela ? Cette construction n’est-elle vraiment que le reflet, la projection des fantasmes et désirs masculins ? Et les femmes ne s’y plient-elles que sous l’effet de la domination masculine ?

C’est probablement de cette idée que Diana Rigg a souffert. Elle s’est vue complice, et complice active, d’une vision misogyne de la société dans laquelle la femme, forcément enrobée d’un halo d’érotisme, demeurait, aussi libre et indépendante qu’elle fut, une projection fantasmatique : non pas elle-même mais l’incarnation inauthentique d’une vision masculine de la femme.

Je ne sais pas – qui peut le savoir ? – ce qu’il y a au tréfonds des âmes féminines. Peut-être d’ailleurs n’y a-t-il effectivement pas d’âme féminine et peut-être tout cela n’est-il qu’une invention des mâles.

Mais que ce serait triste ! Que la richesse du monde en serait amoindrie !

Toi le féminin
Ne nous délaisse pas
Qui n’est point douceur
Ne survivra pas.


François Cheng, Enfin le royaume

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 13 septembre 2020
    Reply

    C’est tout le paradoxe, à l’instant ou une très jolie femme devient une icône par le souffle libérateur qu’elle imprime sut toute une société, à cet instant elle se retrouve livrée aux limites de ce qui est tolérable: sa beauté solaire, sa lumière comme un nombre d’or, toute sa magie sont subitement contenues, cadenassées pour ne plus dire qu’un message en surface.
    Cela me fait penser à Brigitte Bardot qui en son temps fascinait autant qu’elle fut détestée quelquefois par les mêmes personnes…
    Et pourtant on retiendra de notre BB nationale beaucoup plus sa plastique et toute l’érotisation de son personnage public que son combat déterminé et plein d’abnégation pour la cause animale.
    Je me demande si tout cela ne vient pas du fait que l’humanité se laisse facilement dominé par ce qui se voit et non par l’essence des choses, des personnes, des actes…
    Merci pour ton hommage, il est comme toujours bien inspirant.

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