Familiarité ou obséquiosité : le prénom et le titre


Un journaliste ou un écrivain a récemment écrit un livre qui raconte comment, ayant été gravement malade ou accidenté, il a été sauvé par un grand médecin, un professeur de médecine, qui l’a soigné ou opéré. Ce professeur de médecine est une femme et, dans son livre, il l’appelle et la désigne par son prénom : Chloé.


Des commentateurs, des lecteurs, et l’auteur lui-même, je crois, ont fait justement observer que, s’il s’était agi d’un homme, jamais il ne l’aurait désignée par son prénom mais qu’il l’aurait respectueusement, obséquieusement, appelé par son titre  : le professeur Duchmoll.

Ça ne fait aucun doute : ce sont les femmes, et non les hommes, que les hommes appellent par leur prénom, une familiarité qu’ils ne se permettent que très rarement avec des hommes (sauf lorsque, dans les basses-cours des entreprises, on veut montrer qu’on est bien avec le coq en chef).

C’est donc, incontestablement, une attitude sexuée, qui nous fait agir différemment selon que notre interlocuteur soit un homme ou une femme.

Mais est-ce pour autant forcément sexiste, négatif, infantilisant, méprisant ou dédaigneux ? Désigner une personne par son prénom plutôt que par son nom ou son titre, est-ce forcément lui dénier ou amoindrir ses compétences, notamment professionnelles ? C’est ce dont je ne suis pas sûr.

D’abord, en pratique, ce comportement me parait plus genré que sexué : je ne désigne pas spontanément toutes les femmes par leur prénom et, en dehors même de la babouinerie mentionnée plus haut, il m’arrive de désigner par leur prénom des hommes.

Ensuite, cette façon de faire me paraît marquer moins la condescendance ou la familiarité que la confiance et la proximité, le contact humain.

Or sans doute est-ce le fruit d’une construction historico-sociologique totalement artificielle (et peut-être à déconstruire) mais le fait est que nombre d’hommes perçoivent plus la personne humaine dans les femmes que dans les hommes, ceux-ci étant plus vus, peut-être à tort, au travers de leur seule fonction sociale.

Faut-il prendre ombrage, enfin, d’être perçu comme une personne plutôt que comme une fonction, d’être appelé par son prénom plutôt que par son nom ou sa fonction ? Dans certains cas, certainement oui ; quand cette familiarité contient une intention irrespectueuse et dévalorisante, un déni. Mais certainement pas dans tous les cas et notamment dans ceux où le prénommage révèle simplement que cette personne a été pour nous plus qu’une fonction et plus qu’un titre – qu’elle a été, justement, une personne.


Et heureuses celles et ceux à qui cet hommage est rendu.



La musique qu’on entend est Bayaty, de Georges Gurdjieff, dans la très belle interprétation d’Anja Lechner (violoncelle) et Vassilis Tsabropoulos (piano). Elle sera mon générique.

Aldor Écrit par :

4 Comments

  1. 8 décembre 2020
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    Je crois savoir qui est l’auteur auquel vous faites allusion. Et si j’ai juste, venant de sa part, je pense que l’on peut écarter toute idée négative. Son livre est d’une rare délicatesse, respectueux et redevable comme il est des médecins. Un livre riche de culture, que j’ai adoré.
    Bonne journée.

    • 8 décembre 2020
      Reply

      Très certainement, Régis. C’est ce qui rendait la critique mal venue et injuste, même si l’observation était juste.

  2. 8 décembre 2020
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    Merci pour votre point de vue mais de quel livre il s’agit. 🙏

    • 8 décembre 2020
      Reply

      …A vrai dire : moi je n’en sais rien ; je ne m’en souviens pas. Je n’ai pas lu ce livre et n’en connais que les échanges à propos de cette histoire de prénom vus sur un réseau social.

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