J’aime bien le nudge et le Name and shame, toutes ces méthodes désormais largement utilisées par les autorités et les forces politiques, qui visent à substituer au couperet froid et brutal de la sanction diverses formes d’incitation, positives ou négatives. Elles permettent d’atténuer les tensions en incitant avant que ou au lieu de punir.
Mais il ne faut pas sous-estimer leurs inconvénients et leur danger, qui tiennent en grande partie à leur ressemblance aux méthodes et façons de faire d’un certain puritanisme. Car il y a des façons d’inciter en jetant le blâme et le discrédit qui, tout en étant formellement paisibles, recèlent en elles une réelle violence.
C’est un peu le climat puritain qu’on trouve dans certaines communautés, notamment religieuses où, en sus des règles clairement établies et passibles de sanctions, existe un catalogue plus nébuleux des comportements corrects et déviants dont le respect ou le non-respect n’est pas juridiquement puni mais moralement, socialement, interindividuellement proscrit et dénoncé. Et où ceux qui ont de tels comportement sont mis au ban sans réel recours puisque cette mise au ban n’est pas en dur mais seulement morale et sociale.
Alors que ces méthodes, plus doucereuses que vraiment douces, largement fondées sur la glorification de la bien-pensance, ont longtemps été l’apanage des parties les plus conservatrices de l’opinion, qui s’appuyaient sur le clergé – sur les clergés – pour exercer leur pouvoir et leur magistère moral, elles sont aujourd’hui utilisées par d’autres courants. Et c’est un des paradoxes de la situation actuelle que de voir les opposants au passe sanitaire ou à la transition écologique, très souvent issus de la frange la plus conservatrice de l’opinion, s’offusquer de l’ordre moral que leurs adversaires, disent-ils, voudraient imposer.
Mais ce paradoxe une fois relevé, il ne faut pas en rester là. Car il y a bien, derrière l’expression, évidemment outrancière et caricaturale de « Khmer vert », un rendu du malaise qu’on peut éprouver devant la tentation que paraissent avoir certains de vouloir non seulement le changement des actes et des façons de faire mais aussi des pensées et des façons de voir. Car une chose est de réclamer, légitimement, plus de sobriété, d’exiger même qu’elle soit instaurée ; et une autre de désigner comme criminels et responsables des malheurs du monde, comme complices objectifs du Mal, ceux qui n’adhèrent pas à cette pensée.
Il y a, dans ce glissement de la démarche juridique au jugement éthique quelque chose dont on sent qu’il peut déboucher sur le pire. Et c’est ce glissement qui est au cœur du nudge et du name and shame, méthodes dont je redis en toute sincérité qu’elles ont par ailleurs plein d’avantages.
Je ne pense pas qu’on puisse sortir de cette contradiction. Il faut seulement en avoir conscience et se comporter en conséquence.
L’image représente la partie infernale du jugement dernier telle qu’elle est sculptée sur le porche central de la cathédrale de Bourges. Désigner des comportements individuels comme sataniques et conduisant à la damnation éternelle, voici une autre précursion du nudge.
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