Parler ou penser, il faut parfois choisir


Toutes ces forêts qui, un peu partout, brûlent, toutes ces catastrophes qui se produisent ou se profilent, et, au même moment, les Jeux olympiques, suivis avec passion. Du rapprochement de ces deux événements, beaucoup tirent la formule : “Du pain et des jeux”, “Panem et circenses”, dans sa version latine, par analogie avec l’abrutissement du peuple romain quand l’Empire s’écroulait.

C’est une analogie intéressante, et qui donne à penser. Sauf qu’à force d’être inlassablement répétée, ressassée comme j’imagine assez bien que Monsieur Homais le ferait avec ses idées toutes faites, elle perd toute vertu et devient une formule creuse.

Et il en va ainsi de tous les mots, de toutes les formules, de toutes les explications qu’on utilise trop.

On a, face à un phénomène social, trouvé un angle d’analyse riche et pertinent qui permet de découvrir et comprendre plein de choses, de voir apparaître l’ordre et la cohérence là où ne semblaient régner que l’informe et le disparate ; on a trouvé une clé qui ouvre plein de portes et permet d’éclairer le monde d’un jour nouveau ; on a mis un nom sur cette clé : la lutte des classes, le complotisme, le capitalisme, la bêtise, le système, le pain et les jeux, Orwell, La Boétie, etc. Mais voici que cet angle d’analyse, ce mot, cette formule, qui apportait quelque chose de neuf quand il avait été trouvé, on se met à le répéter comme une litanie, comme un mantra magique se suffisant à lui-même, comme s’il suffisait de le dire pour que tout soit dit. Et la pensée, alors, se fige : la formule, qui nous aidait à réfléchir, devient une entrave à la réflexion. Dans sa fixité et sa pérennité, le mot empêche de distinguer la diversité, la vivacité, la fluidité des choses réelles : nous sommes engoncés dans une explication, dans une analyse qui ne parvient plus à s’accrocher au réel parce qu’elle s’accroche aux mots. A vouloir absolument mettre des mots sur les phénomènes, nous ne pouvons plus les penser.

Et peut-être (est-ce que veut me dire Katia ?) cela vaut-il aussi pour l’expression des sentiments  : à vouloir trop dire “Je t’aime”, on confond la chose et le mot.


L’image représente une gargouille du Palais Jacques Coeur, à Bourges. Comme chacun, j’y ai reconnu Le cri, de Munch. Et à force de voir la ressemblance entre cette gargouille et le tableau, on ne voit plus la gargouille mais seulement le tableau.

Aldor Écrit par :

Soyez le premier à commenter

    Laisser un commentaire

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.