Last updated on 11 septembre 2022
« Tu as besoin de moi », dit le père de Clara Schumann à sa fille dans la pièce Chanter puis se taire, de Chantal Desrues, et je crois qu’il n’y a pas de parole, de suggestion ou de pensée plus malveillante, malfaisante et malsaine.
Le problème n’est pas ici celui de la réalité objective de la dépendance. C’est celui de sa désignation, de son objectivation, qui substitue à l’épaisseur inextricable des liens existant entre deux êtres la simplicité d’une relation univoque, celle du maître et de l’esclave.
Il faut, pour penser : « Tu as besoin de moi », avant même de le dire, avoir fait abstraction, avoir délibérément gommé tout ce qui, dans la réalité, rend les choses beaucoup plus mêlées, beaucoup plus complexes, beaucoup plus bijectives. Il faut, pour se poser en sauveur, avoir fait le choix de ne pas voir tout ce qui fait de nous un sauvé.
Il m’est arrivé d’agir ainsi ; de recomposer une histoire dans laquelle l’échange devenait don et le mutuel unilatéral, de reconstruire un récit dans lequel le personnage que j’étais revêtait les habits du héros. J’ai connu, moi aussi, le méprisable orgueil de celui qui se croit un sauveur et qui, oubliant tout ce qu’il a appris et vécu auprès de l’autre, jette sur lui un regard condescendant.
Je crois qu’il y au fond de cette incapacité à reconnaître (ou plutôt de cette capacité à oublier) les vertus, qualités et apports de l’autre et dans cette érection saugrenue d’un monument à notre propre gloire le signe d’un immense désarroi : on fuit ce qu’on sent échapper à notre contrôle, et on projette sur l’autre la dépendance qu’on craint de subir.
Et au fond de tout cela, la peur panique de l’autre, de tout ce qui n’est pas soi, de tout ce qui ne colle pas à l’image idolâtre qu’on a construit de soi-même.
C’est un étrange paradoxe que cette attitude des gourous qui, sous prétexte de libérer les êtres et de les faire grandir, les infantilisent et les abreuvent d’injonctions, prêchant l’humilité du haut de leur orgueil. Comment ne pas voir l’incohérence dont ils sont pétris ?
A chacun, je souhaite une bonne année 2022. Qu’elle soit remplie de vrais sauveurs, de ces personnes ouvrant les yeux et l’esprit ; et qu’elle vous garde éloigné des soi-disant sauveurs, de ces êtres rendus malfaisants par leur peur et leur mal-être.
La photo montre le fort Saint-Agathe, à Porquerolles, photographié lors d’une nuit remplie d’étoiles.
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