Last updated on 11 septembre 2022
Que ferions-nous, que ferions-nous encore, si la possibilité nous était ôtée d’en parler, de le montrer, d’en faire étalage ?
Serais-je allé photographier la statue de la Liberté à l’île aux cygnes si je n’avais pas pu la montrer ?
Dans les entreprises, la communication semble depuis longtemps être devenue, dans bien des cas, un des moteurs de l’action : on ne fait pas seulement ce qu’on fait pour le faire mais aussi pour pouvoir dire qu’on le fait, le montrer, le célébrer, communiquer à ce propos. Et quand cet objectif ne suscite pas l’action, il l’oriente et la façonne, faisant préférer tel choix à tel autre.
Au sein des grandes organisations, les services de communication rivalisent pour susciter des manifestations, des événements, des happenings largement relayés et censés susciter de l’adhésion et un sentiment de dynamisme. Faire connaître son activité, accumuler des vues et des Like sur les réseaux internes et externes y est devenu un objectif en soi auquel une énergie et des moyens toujours plus grands sont consacrés, dans un effort inflationniste pour capter l’attention.
Mais j’ai parfois l’impression d’agir de même, et de trouver dans la mise en visibilité de ce que je fais une motivation forte, si ce n’est première, de mon action : que deviendraient mes belles pensées, mes grands sentiments, mes réflexions profondes, mes dessins, mes photos, mes promenades même, si je ne pouvais en faire étalage ? Ferais-je vraiment ce que je fais si je n’avais l’opportunité de m’en vanter indécemment auprès de mes proches et sur les réseaux sociaux ? De tout ce que je fais, que resterait-il si nul autre que moi ne pouvait en être le témoin, si j’étais seul à savoir ?
La Bible et les pièces de Molière (et certainement d’autres oeuvres encore mais c’est déjà pas mal) sont remplies de mises en garde contre ces Tartuffes, ces grenouilles de bénitiers, qui agissent pour la galerie et font pour être vues. Mais je me sens parfois très proche de ces bigotes et de ces Philistins ! Car que ferais-je, que ferais-je véritablement si la possibilité m’était retirée d’en parler, de le montrer, d’en faire étalage, si je devais n’agir que pour le secret de mon coeur ?
Aliénation.
La photo a été prise le 27 décembre. Le soleil se couchait dans un ciel orangé derrière l’île aux cygnes, à Paris.
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Tu es dur avec toi-même ici – non pas en te posant cette question légitime que je me pose aussi à mon sujet, mais quand tu assimiles le besoin ou le désir de partager à une tartufferie, une hypocrisie. Je suis la première à trouver le narcissisme et l’exhibitionnisme (chez moi comme chez les autres) difficiles à supporter, mais je crois sincèrement que parler ici de tes promenades ou des peintures relève d’un besoin de partage qui n’est pas qu’une recherche de compliments. D’ailleurs, en s’exposant ici, on accepte aussi d’être critiqué. Méfiante comme je suis, je ne peux nier ressentir quelque chose de bon dans le désir d’offrir au partager la beauté ou l’enthousiasme.
Il est possible que je n’écrirais pas si je savais qu’il n’y avait aucune chance pour moi d’être entendue. Serais-je alors plus honnête, plus humble ? Je crois surtout que je serais plus seule et plus terne, et moins vivante. Quand bien même le mot de partage serait trop optimiste, car il laisse entendre qu’on renonce à quelque chose pour en faire bénéficier autrui, ce qui n’est pas le cas quand nous postons nos textes ici, je ne crois pas que ce mouvement vers autrui qui nous guide, cette soif de contact, ce désir d’un signe de reconnaissance, soit mauvais. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais j’aime que tu tendes ta main ici, et te faire signe aussi de mon côté. 🙂 (Je crois que je commente un peu à côté de ton propos, tu ne m’en voudras pas).
Merci beaucoup Frog. J’aime beaucoup la douceur de ta pensée.
Même si le mot n’est venu qu’à la fin (et même après coup), c’est la question de l’aliénation de la motivation qui m’a poussé. J’assume le narcissisme qu’il peut y avoir à montrer ce qu’on a fait car effectivement, ce qu’on fait existe par les autres. Mais mon point concernait non pas ce qu’on montre de ce qu’on fait mais ce qu’on fait pour le montrer. Et je crois qu’il m’arrive de faire des choses à seule fin (ou à fin importante) de pouvoir le dire. Pas toujours, bien sûr, mais parfois.
C’est de l’aliénation. Peut-être n’est-ce pas mal pour autant mais le fait est que j’ai besoin des autres pour me sentir vraiment exister.
offrir au partage*
Je n’aurais pas mieux dit que Frog.
Montrer, quand c’est le moyen de partager, n’est pas mal. C’est même tout le contraire. L’enfant est heureux de montrer son dessin, sa construction, parce qu’il a besoin d’un assentiment, d’une reconnaissance.
Il y a de la joie à montrer ce dont nous sommes fiers, ce qui nous meut ou nous émeut.
Mais il y a aussi une joie particulière à ressentir au fond de soi, sans forcément partager.
Toute notre vie, nous oscillons entre ces deux pôles. Garder pour soi est une démarche méditative, et au final, un partage entre soi et soi.
J’espère que tu continueras à nous partager tes états d’âme, et tes réflexions. Ils sont précieux.
Bises
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