Last updated on 11 septembre 2022
J’essaie (et il est difficile, parfois, de m’y tenir) de ne pas parler des difficultés, des problèmes, des événements et choses tristes pour lesquelles je n’ai aucune solution, aucun remède, aucune amélioration même à proposer. Devant la fatalité des catastrophes, le malheur insondable ou les situations dramatiques dont les raisons sont trop complexes, profondes, imbriquées dans la nature des choses ou du monde pour pouvoir être rapidement modifiées, le silence me paraît préférable aux mots, vains.
Et avec le temps, avec l’âge, ce domaine du silence s’étend, celui de la lutte allant s’amenuisant.
Avec le temps car certaines choses s’épaississent, deviennent plus difficiles, plus lourdes, plus inertes qu’elles ne l’étaient : se posait-on la question des EHPAD quand la mort, ordinairement, devançait la dépendance ? S’interrogeait-on sur les progrès de l’industrie quand le monde était jeune et peu peuplé ?
Mais l’âge joue aussi son rôle : il faut, me semble-t-il, pour oser trancher le noeud gordien, être soit un jeune Alexandre qui croit qu’il aura une longue vie pour réparer les pots cassés ; soit un vieux Louis XV pensant qu’après lui le déluge. Dans l’entre deux de la maturité, on essaie d’être plus responsable, de ne pas prétendre avoir la solution de tout, de tenir compte de la fragilité des choses, de peser les conséquences de nos mots, de ne pas insulter l’avenir.
Et puis l’expérience apprend que, bien souvent, en voulant très légitimement améliorer une chose, on déplace des équilibres délicats, ce qui oblige soit à renoncer, soit à se lancer dans des réformes bien plus vastes que celles auxquelles on avait d’abord songé. Pour reprendre l’exemple des EHPAD, il est sans doute dramatique de se dire que, finalement la solution de Soleil vert n’était pas forcément la pire, mais ce constat une fois posé, que faire qui soit utile ? Quelle solution proposer à la question angoissante que soulève la sénilité croissante de nos sociétés ?
Vient un moment où la prise de conscience de ce qu’on a finalement rien à proposer de sérieux, de solide, de faisable, de vrai, invite seulement à éviter l’indécence du bruit, à préférer le silence au débordement inutile des mots. Vient un moment où, face à certaines situations inextricables, on comprend que les paroles scandalisées ne servent à rien, sinon à se donner bonne conscience, à se payer de mots, et que mieux vaut se taire et, dans le silence, réfléchir aux révolutions à mener.
Et c’est ainsi qu’avec le temps, l’âge et peut-être ce qu’on appelle la sagesse, s’accroît le domaine du silence.
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Parfois, aussi, avec l’âge, il me semble (peut-être à tort) que je sais une solution, mais pas comment la dire. Parce qu’elle n’est pas de l’ordre du conseil pratique, parce qu’elle sonne absolument creux dite « comme ça », parce qu’elle reviendrait à demander à qqn de tt changer, que sais-je encore. Et dans ce cas le silence est moins sagesse qu’incapacité et peut-être même lâcheté. Mais après tout en parlant je me serais peut-être trompée.