L’autre jour, un homme à vélo qui porte derrière lui, sur un siège enfant, sa petite fille. Il lui raconte des choses drôles en parlant très fort.
Je réalise, au bout d’un moment, que ce n’est pas à elle qu’il s’adresse vraiment même si c’est à elle qu’il parle : son véritable interlocuteur sont les autres, la galerie, le public, moi y compris ; c’est à nous qu’il s’adresse, nous qu’il veut convaincre de son humour, de sa culture, de sa bonhomie, de son rôle de père aimant, bienveillant, dévoué à sa fille. C’est à elle qu’il parle, mais lui qu’il donne à voir, lui qui se pavane.
Et la petite fille rit, heureuse de voir son père se démener et se faire drôle ainsi pour elle.
Mais j’ai trop souvent agi moi-même ainsi pour ne pas déceler l’imposture, au moins partielle : cette façon d’instrumentaliser un être dépendant (un enfant, un chien, un chat) pour attirer l’attention sur nous-mêmes, cette manière de prétendre s’intéresser à lui alors qu’il n’est qu’un faire-valoir.
Ce qu’il y a de profondément choquant, dans cette façon de faire, ce n’est pas seulement, comme dans l’histoire du roi Candaule, rappelée par Beauvoir, le fait de se gargariser des qualités d’un autre (et singulièrement, chez les hommes, de la beauté d’une jolie femme), mais le mensonge consistant à faire croire à cette personne qu’on s’intéresse à elle, qu’elle est le centre de notre attention, alors qu’elle n’est qu’un appât dont on se fout, au fond.
Ah ! Apprendre à être tout entier dans le dialogue avec qui l’on parle, sans se soucier des autres et de la galerie, être dans une attention sincère et authentique, cela peut prendre un long temps. J’en parle d’expérience.
L’image de tête montre le fort de L’Alycastre, à Porquerolles, le soir du 14 août, alors que roulaient au-dessus de l’île des nuages d’orage.
Bien vu! Ce sont souvent des pères qui ont rarement leurs enfants, le week-end. C’est tellement fake !