Elle devait sentir cela, Simone de Beauvoir, quand elle croisait Simone Weil : qu’elle était certes un peu ridicule, un peu pénible, cette jeune femme, avec cette façon de prendre tout à coeur et de verser des larmes qui ne servaient à rien ; mais aussi que sans des êtres comme cela, sans des coeurs capables de battre à travers l’univers entier, le monde était perdu.
Étiquette : attention
Sans doute une part de l’humain est-elle dans cette distraction chronique, dans cette difficulté à rester mobilisé vers un objectif unique, dans ce dilettantisme constant de l’attention qui est à la fois ravageur et fécond. Ravageur parce qu’il interdit d’approfondir, qu’il gêne l’étude et le travail arides ; fécond parce qu’il permet d’évoluer, de passer à autre chose et, parfois, dans ce cheminement vers autre chose, de mieux revenir à ce qu’on a quitté.
J’ai trop souvent agi moi-même ainsi pour ne pas déceler l’imposture, au moins partielle : cette façon d’instrumentaliser un être dépendant (un enfant, un chien, un chat) pour attirer l’attention sur nous-mêmes, cette manière de prétendre s’intéresser à lui alors qu’il n’est qu’un faire-valoir.
Notre esprit est ainsi fait qu’étonnament, nous sommes plus attentifs aux choses, plus en éveil, plus présents au monde avec de la musique, avec un fond sonore dessinant un paysage, que dans le silence. Ou, pour dire les choses autrement : peut-être la musique gène-t-elle notre concentration mais elle soutient l’attention, qui n’est pas la même chose et qui, dans bien des cas, est beaucoup plus utile, beaucoup plus efficace que ne l’est la concentration.
L’impatience a aussi une vertu : elle oblige à se lancer, à se lancer dans l’imperfection, à se lancer dans l’incertitude. Elle est l’autre nom de la foi qui nous permet de croire, d’agir, d’aimer, sans être sûrs de ne pas nous tromper – sans être sûrs de rien. Elle est ce qui nous donne le courage de nous engager.
J’aime bien les ralentis dans les films publicitaires, Avec cette impression donnée qu’il suffirait De ralentir le temps pour que les choses prennent sens, Deviennent…
Il en va certainement de tous les apprentissages comme de celui du jeu théâtral : il faut un long, long et pénible processus pour que, au bout du compte, la spontanéité, la joyeuse et gracieuse spontanéité puisse apparaître.
L’esprit de sérieux, c’est aussi l’incapacité à être vraiment à ce qu’on fait, une sorte de distraction, de manque d’attention à ce qui nous entoure
Respecter les choses, même les plus insignifiantes, en les maniant avec délicatesse et attention, c’est lutter contre la réduction du monde à une ressource corvéable qui ne servirait qu’à satisfaire mon appétit insatiable, ma gloutonnerie, mon irrésistible volonté de puissance.