Qui marche quelques jours dans la montagne, faisant un presque tour du si beau Beaufortain, est ébloui par la splendeur des monts et des vallées, la diversité de la flore étalée sous ses yeux. Et comme dans La montagne magique, l’esprit s’y ouvre à ce qu’il ne concevait pas, à ce qu’il ne comprenait pas.
Ainsi, la sélection naturelle : que ce soit dans une petite île comme Porquerolles ou dans les hauts alpages, on a vite fait de réaliser que le processus de sélection naturelle (plus naturelle encore dans les alpages que dans l’île du bon Monsieur Fournier) n’est nullement synonyme de croissance débridée d’une espèce dominante qui écraserait les autres de ses avantages comparatifs ; c’est au contraire le codéveloppement d’espèces multiples mettant en œuvre, avec une inventivité prodigieuse, des stratégies fondamentalement différentes, voire opposées.
Dans les mêmes lieux, exactement les mêmes, soumis aux mêmes conditions, poussent, entremêlées les unes aux autres dans ce qui semble un joyeux désordre, des fleurs et des plantes de couleurs, de formes, de tailles, de parfums, de pilosités, radicalement hétérogènes : quoi de commun entre la charmante et minuscule euphraise de Rostkov, qui figure en tête de ce papier, les clochettes alanguies de la campanule, la tendresse de la colchique d’Automne, l’extraversion solaire du millepertuis, la dentelle du chardon, l’effacement de la parnassie, l’éclat de la scabieuse, le cotonnage léger de l’épilobe ?
Dans les montagnes comme dans les îles, les mêmes conditions donnent naissance à des plantes qui n’ont rien de commun.
À Porquerolles, ainsi, poussent, à quelques mètres l’une de l’autre, la figue et la fleur de myrte. Mais alors que la première s’épanouit de l’intérieur, ne laissant apparaître que la peau rugueuse de son presque fruit, la seconde, comme le millepertuis, explose comme un feu d’artifice, étalant partout sa candeur et ses délicates étamines.
Deux floraisons voisines, nées du même sol et du même soleil, mais l’une garde secrète sa beauté, ne la révélant qu’aux guêpes qui viendront la féconder ; l’autre l’expose au tout venant.
Chaque plante suit sa voie particulière, dont l’un des traits est, sauf dans le cas spécifique des espèces dites invasives, de ne pas tout envahir, de laisser place aux autres plantes. Une régulation doit être à l’œuvre, qui passe peut-être par les racines, les sels minéraux absorbés, les insectes attirés, qui s’oppose à l’hubris de la ronce ou du myrtillier pour privilégier le maintien de la diversité, l’équilibre de l’écosystème.
Peut-être des millions d’années ont-elles été nécessaires aux plantes pour intégrer, dans leurs gènes et leur comportement, cette boucle de rétroaction, cette apparente sagesse.
Il nous faut aller plus vite, beaucoup plus vite.
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