Le plaisir des choses rondes

La crête des Gittes

Il y a un grand plaisir, une grande satisfaction, dans l’accomplissement des choses non pas simples, non pas courtes, non pas manuelles, mais rondes ; je veux dire : ces choses dont on peut faire le tour, qu’on peut commencer et achever, qu’on peut accomplir.

Notre vie est faite de flux continus et insécables, de développements qui n’en finissent jamais de se développer, de s’enrichir, de se transformer ; nous vivons dans un monde où la plupart de nos actions sont indiscrètes, au sens mathématique du terme : elles prennent place dans un continuum où il n’y a vraiment ni début ni fin, seulement des évolutions. Tout y est toujours à poursuivre, à reprendre, à peaufiner, y compris ce qui paraît avoir atteint son équilibre, car l’entropie a vite fait de dégrader et de briser les stabilités qui semblaient acquises.

Élever ses enfants, agir en honnête homme (ou femme), faire son devoir, gagner sa vie, vivre, aimer, être aimé ; rien de cela n’est jamais vraiment acquis. Il faut, à chaque instant, et jusqu’à notre dernier souffle, se remettre à l’ouvrage, réinjecter de la force, de la foi, de l’amour (c’est un peu synonyme), pour redresser la barre, tenter de faire un peu mieux, mais aussi pour dépoussiérer, nettoyer, lustrer, pour que le flux ne se tarisse pas, pour que la vie continue à l’emporter sur la mort, pour que l’amour continue à vaincre l’indifférence

Et puis il y a ces choses rondes et discrètes qu’on trouve dans les tâches et loisirs en “age” : bricolage, jardinage, repassage, lavage, mais aussi dans la cuisine et dans le sport ; dans les exercices de mathématiques, l’artisanat, la mécanique et les mots croisés ; dans les randonnées et la couture, le dessin ou le jeu : ce sont ces actions qui, à la différence du reste de la vie, ont un début et une fin, une fin surtout, clairement délimitée et dont l’atteinte signifie qu’on a terminé. Dans le vertige et le doute permanents de nos existences, ces choses rondes et finies sont des perles de certitude : de nos vies, nous avons bien du mal à juger mais cela, nous savons l’avoir fait.

De là, sans doute, la satisfaction profonde que nous éprouvons à ces tâches simples, définies, concrètes. Elles sont, de tous nos faits et gestes, de toutes nos actions, les seules dont nous voyons le bout, les seules que nous puissions véritablement considérer un jour comme accomplies.

Aldor Écrit par :

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