Biodiversité, ressources humaines et exploitation du monde

Une vache photographiée près du col des lacs, non loin de Beaufort

On ne parlait pas, jusqu’il y a peu, de biodiversité. Le concept existait, bien sûr, mais il n’avait pas sa place dans le langage courant. On parlait d’animaux et de végétaux, éventuellement de champignons, de lichens et d’éponges ; on parlait des baleines, des haricots et des limaces ; mais pas de biodiversité.

Ce mot, employé à tout bout de champ, y compris par les personnes les mieux intentionnées du monde, marque un rapport abstrait, euphemisé, à la nature, vue comme un vaste réservoir de diversité génétique. Derrière la biodiversité, les identités plurielles disparaissent, et avec elles la dimension charnelle, sensible, émotionnelle, du drame qui se joue.

Mutatis mutandis, parler de biodiversité est comme parler de ressources humaines. Je ne sais qui a eu le premier l’idée d’employer cette expression mais j’ai du mal à comprendre qu’on ne lui soit pas tombé dessus à bras raccourcis tellement cette dénomination dévoile ce qu’on devrait chercher à cacher : l’assimilation des êtres à une ressource conçue et gérée pour être exploitée au mieux.

Jocelyne Porcher, dans son livre Vivre avec les animaux, indique qu’il existe, dans les établissements industriels exploitant les machines à viande que sont devenus, du fait de la zootechnie, les animaux d’élevage, des directions des ressources animales (DRA) dotées des mêmes compétences, des mêmes moyens et, au fond, des mêmes objectifs que les DRH s’occupant des humains : faire en sorte que les choses se passent au mieux, que l’utilisation de la ressource soit optimisée.

Il y a une étrange violence (qu’on retrouve dans l’abstraction unifiante que recouvre la biodiversité) dans cette facon de considérer des êtres vivants et sensibles comme une ressource impersonnelle à exploiter. Et quelque chose d’affligeant dans la croyance que la relation plurimillénaire qui s’est nouée entre hommes et autres animaux puisse se réduire à une relation d’exploitation, comme si l’intérêt seul avait conduit les hommes et les femmes à se rapprocher des bêtes, à se lier et à vivre avec elles.

La conception industrielle du monde, qui a permis tant de progrès, est mère de la division du travail et de la taylorisation ; et de même qu’elle a brisé le rapport entier et complet des êtres humains aux choses et à leurs semblables qui se nouait dans le travail artisanal, elle a brisé le rapport entier et complet des êtres humains aux bêtes. Elle a permis que soit donné naissance à ces êtres monstrueux et malheureux que sont les machines à viande, ces porcs, poulets ou vaches abandonnées dans des solitudes collectives, et qui attendent la mort sans jamais avoir vécu.

Ce qui est vrai des animaux et des hommes l’est d’ailleurs aussi du reste de la nature : le concept même de ressource, qui voit en les choses, quelles qu’elles soient, un matériau fait pour satisfaire nos besoins, nos désirs ou notre avidité, est intrinsèquement vicié. Ni le monde, ni les autres ne sont notre chose.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 1 octobre 2022
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    Tout est dit et bien dit

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