On entend et on lit souvent (et il m’arrive de dire, à tout le moins de penser) que l’existence de normes, de normes sociales, nous empêcherait de faire ceci ou cela, telle ou telle chose que, sinon, nous ferions.
Il existe effectivement, en sus des lois et des règles ancrées dans le droit positif, un large ensemble de normes, d’habitudes, de traditions, qui délimitent “ce qui se fait” de “ce qui ne se fait pas”.
Très souvent, ces normes sont la traduction de préférences individuelles socialisées. Mais elles peuvent également exprimer des préférences strictement collectives – je veux dire des préférences qu’on n’aurait pas forcément s’il ne s’agissait que de nous mais qui nous semblent plus adaptées aux exigences de la vie en société. Et puis on peut avoir (on a très souvent !) des préférences pour soi qu’on n’a pas pour les autres.
Tout cela fait que l’existence, qui ne prête guère à débat, de normes sociales, ne signifie pas forcément qu’on rejette ou voit d’un mauvais oeil celles et ceux qui les transgressent. C’est même souvent exactement le contraire : on est reconnaissant aux artistes, aux clowns, aux fous du roi et à tous les non conformes de faire ce qui nous paraît juste et utile mais que nous-mêmes n’oserions pas faire.
Et sauf dans le cas des régimes totalitaires (ou la chose est effectivement périlleuse), sortir de la norme sociale n’est pas en soi une cause de rejet. On éprouve au contraire pour ceux qui osent ne pas se conformer une certaine adulation.
C’est dire à quel point, dans nos régimes démocratiques, l’argument si souvent brandi : “Si la société n’était pas si bloquée/conservatrice/égalitariste/fermée, je ferais ceci ou cela” et l’explication si facilement trouvée : “Si je suis rejeté et/ou mal-aimé, c’est que je ne suis pas dans la norme” sont faux et à côté de la plaque. Dans le premier cas, on tente de mettre sur le dos de la société notre propre conformisme ou notre propre manque d’audace (car il est beaucoup plus confortable de faire comme les autres) ; dans le second, on se refuse à considérer la cause véritable du rejet que nous subissons, l’expliquer par notre a-normalité étant beaucoup plus facile et beaucoup moins douloureux que nous mettre en cause nous-mêmes.
La norme, le plus souvent, est une mauvaise excuse.
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