Lettres afghanes

Ma Chère Zunaira,

Paris, où j’habite, bruisse de rumeurs étranges et inquiètes, inquiétantes aussi, sur la vie à Kaboul.

Il y a quelques mois, déjà, les journaux et la télévision d’ici s’étaient enflammés en répandant la nouvelle incroyable selon laquelle le gouvernement afghan aurait décidé de fermer la porte des lycées et des universités aux jeunes filles et jeunes femmes. Et depuis quelques jours, les mêmes sources colportent le bruit selon lequel le ministère pour la Promotion de la vertu et la Prévention du vice interdirait les jardins et les parcs aux femmes de notre beau pays.

Ces accusations sont si grossières et les faits décrits si étonnants que j’ai d’abord cru à des racontars, à des mensonges montés de toutes pièces. Qui pourrait en effet croire que les autorités d’un pays sortant exsangue d’un demi-siècle de conflits et de guerre civile soient assez inconscientes et sourdes à la réalité des choses pour se passer volontairement des talents, de l’imagination, de l’intelligence, de la curiosité, de l’énergie de la moitié de sa population ? Et qui peut croire qu’un Etat soit assez vil et inique pour interdire aux femmes l’accès des jardins publics ?

Tout cela serait donc ridicule si chaque jour qui passe n’apportait sa nouvelle vague de nouvelles du même acabit, à chaque fois abondamment reprises par les medias. Ce matin, c’était la prétendue interdiction faite aux femmes d’aller au hammam, au motif saugrenu que ce ne serait plus nécessaire “puisqu’elles ont pour la plupart une salle de bains chez elle”.

Ce qui m’étonne le plus, ce sont les justifications qu’on dit avoir été données à ces mesures : à chaque fois, il s’agirait d’éviter le mélange entre hommes et femmes, de veiller à ces que les deux sexes ne se croisent pas, ne se voient pas, ne se parlent pas, pour éviter toute tentation. Comme si l’honneur et la vertu de nos guerriers, qui ont vaincu tour à tour les deux plus puissantes armées du monde, avaient besoin d’être défendus et protégés contre les assauts de la séduction féminine ! Comme si eux, qui se sont battus comme des lions, étaient sans force face à la douceur d’un visage !

J’ai d’abord balayé tout cela d’un revers de la main, persuadé qu’il s’agissait de vilénies propagées par des ennemis de notre pays, mais avec le temps, le doute monte en moi. Et mes amies françaises, qui comme toi sont intelligentes et cultivées, se montrent interloquées et stupéfaites, et me pressent de questions : “Comment peut-on être Afghan ?”, me demandent-elles. Et j’en viens à me poser la même question…

Zunaira, Zunaira, je t’en prie, dis moi que tout cela est faux, que ces nouvelles grotesques et terribles ne sont que propagande et menteries, que tout cela n’est qu’un cauchemar dont je serai bientôt réveillé !

Dis moi que les hommes de ce pays n’ont pas oublié dans la guerre ce qu’est vraiment être un homme.


Zunaira est le prénom de la jeune femme dans Les hirondelles de Kaboul, le roman de Yasmina Khadra dont Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec ont tiré un film également magnifique.


PS : Hervé et Olivier avaient raison : le dessin de ma burqua la fait plutôt ressembler à une combinaison de Tchernobyl…

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 17 novembre 2022
    Reply

    Eh non, hélas, mauvaise nouvelle : il y a de fortes chances que tout cela soit vrai…
    La connerie humaine n’a pas de limite. L’imbécillité naturelle progresse à la même vitesse que l’intelligence artificielle.

    C’est dire si l’horizon humain est noir…
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

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