Démonétiser le monde

Le champ des oliviers, à Porquerolles

Il ne s’agit pas de prétendre que la beauté, l’air pur ou le chant des oiseaux sont ou pourraient être considérés comme une “autre forme de richesse” ; il s’agit de ne plus raisonner seulement en termes de richesse et d’argent.

Il ne s’agit pas de valoriser ou de dire que “sont rentables sur la durée” les espaces naturels, la fin du pillage du monde, le respect des êtres vivants ; mais d’affirmer qu’existent des choses, des êtres, des lieux, des valeurs qui n’entrent ni ne doivent entrer dans le jeu pervers de la valorisation monétaire, de la marchandisation, de la rentabilisation.

Il ne s’agit pas de vendre, même au sens figuré, l’amour, la gentillesse, la civilité ; il faut clamer que les choses les plus importantes, les plus essentielles, les plus graves et les plus joyeuses, ne se vendent ni ne peuvent être vendues ; et qu’on ne peut tout simplement pas les comparer à ce que l’argent achète.

Il ne s’agit pas de dire, de penser, et encore moins d’espérer, que la poésie, l’art ou la gentillesse, ça puisse rapporter gros ; il faut établir le droit éminent, le devoir de la poésie, de l’art, de la gentillesse, de ne pas rapporter du tout, de ne pas manger de ce pain là.

Il ne s’agit pas de verdir ou de rendre plus vertueux le marché ; il s’agit de le cantonner à sa place, où il est très efficace, et d’éviter que ses mécanismes, sa logique, sa façon d’appréhender les choses, ne viennent tout salir, tout vénaliser, tout corrompre.

L’enjeu n’est pas de réconcilier la société de consommation avec la planète, le vivant, la beauté, le bonheur ; il est de les en libérer pour ce qui est de l’essentiel.

Il ne s’agit pas, il ne doit pas s’agir, ou du moins pas seulement, de donner de bonnes incitations, et d’orienter la finance et les capitaux vers des actions et des investissements plus propres, plus durables, plus responsables. Donner de bonnes incitations, c’est mettre le doigt dans un engrenage de compromissions dont on ne parvient jamais à sortir vraiment. Il s’agit, avec calme et détermination, de les exclure des décisions les plus essentielles, car ils n’ont pas à s’en mêler. Et pour commencer par le plus important (et revenir ce faisant à mon point de départ), il s’agit d’arrêter de tout mesurer à l’aune de la monnaie, de la valeur vénale, du prix. Cesser de considérer que tout appauvrissement soit une dégradation et toute amélioration un enrichissement. Car ce n’est pas le cas : il se pourrait bien que nous soyons demain plus pauvres que nous ne le sommes, que la transition écologique soit, pour nous Français considérés collectivement, un appauvrissement. Mais aussi que, pour autant que les plus pauvres d’entre nous échappent à cet appauvrissement, nous nous en portions et nous en sentions mieux.

Il ne s’agit pas d’enrichir le monde ; il s’agit de le démonétiser, de recréer et d’agrandir des espaces naturels, mentaux, culturels, sociaux, qui ne soient pas soumis à notre avidité et au jeu continuel de l’offre et de la demande. Des espaces physiques et intérieurs libérés de cette pression où le monde puisse se réenchanter.

Il s’agit de réapprendre le bonheur oublié de Zorba et de l’Été grec ; et de construire non pas une sobriété heureuse mais une frugalité joyeuse.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 12 novembre 2022
    Reply

    Merci pour ces mots auxquels je souscris pleinement… j’avais justement partagé un post rapide sur LinkedIn sur le même sujet en moins bien écrit…

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