Kimono

Utagawa Kunisada, Femmes devant Daimaruya (détail),
collection du Victoria and Albert Museum

Au musée du quai Branly, à Paris, une très belle exposition sur le kimono, ce somptueux vêtement que les créateurs de l’ère Edo ont amené à un degré extrême de sophistication, de luxe et de beauté.

On y apprend notamment que c’est pendant la longue période de libération des moeurs joliment surnommée “monde flottant” (浮世絵) que le kimono fut lancé, sous l’impulsion des courtisanes du quartier chaud de Yoshiwara, qui, riches, admirées et recherchant l’ostentation, dictaient alors le code vestimentaire des classes privilégiées.

La mode est une chose fascinante. Je suis admiratif de tous les talents, tous les efforts, toutes les minuties réunies pour magnifier le corps humain, notamment celui des femmes, et pour le dresser dans des tissus, des plis, des formes et des couleurs qui le rendent suprêmement élégant, lui donnant la grâce, et d’une certaine façon le naturel, que la nature ne nous a pas donnés.

Je sais, comme Simone de Beauvoir, que ces vêtements, et singulièrement ceux des femmes, sont souvent des entraves et des contraintes, qu’ils gênent plus qu’ils ne protègent, et que leur effet premier est d’accentuer la maladresse et la dépendance vis-à-vis des autres de celles et ceux qui les portent. Mais me souvenant des corsets portés par les Saints-Simoniens, je crois aussi que telle est fondamentalement leur fonction, et qu’il est donc peu utile de s’en plaindre et plus utile de le comprendre.

On ne s’habille pas, ou pas seulement, pour se protéger du froid, du vent, de la pluie ou du soleil. On s’habille pour être avec les autres humains, pour respecter les convenances, sans doute, mais surtout pour se montrer, ne serait-ce que montrer que cela nous indiffère. La mode (ça n’est certes pas une grande découverte !) est un pratique éminemment sociale.

Les vêtements que nous portons ont pour fonction première d’exprimer le rôle que, chaque jour, nous jouons. Ils sont l’équivalent des masques et maquillages que portent les acteurs dans de nombreux théâtres et sont, comme eux, extrêmement stéréotypés, permettant à celles et ceux que nous croisons de nous classer, du premier coup d’oeil, dans telle ou telle catégorie, notamment au regard de la sexualité et de la hiérarchie, ces deux factorielles clés de notre place sur la grande scène humaine.

Qu’il soit difficile de marcher ou de courir avec un kimono, une jupe, des escarpins vernis ou un costume trois pièces est donc à la fois parfaitement vrai et totalement sans importance : ça n’est pas fait pour ça. Le kimono, par exemple, qui est si peu pratique, a pour fonction essentielle de floraliser le corps des femmes, comme le fait la jupe en forme de calice.

Il ne s’agit pas là – c’était la point de mon enregistrement – d’une contrainte que les hommes auraient imposé aux femmes qui l’auraient subie malgré elles. Je crois que nous sommes très heureux d’avancer dans le monde revêtus d’un habit-rôle social qui nous évite d’avoir à expliquer qui nous sommes et ce que nous cherchons. Cela nous repose et nous plaît, surtout quand ce rôle est un peu mensonger et que nous attendons avec gourmandise de pouvoir révéler à qui s’en sera montré digne la réalité de notre être, nos dessous chics, cet underwear chanté par Hailey Tuck.

Car c’est pour cela aussi qu’on se voile : pour mieux pouvoir se dévoiler.

Aldor Écrit par :

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