C’est à chaque fois le même étonnement heureux, la même joie : il suffit de voir une exposition ou un film, de flâner dans une librairie ou d’écouter quelques heures une radio pour être ébahi par l’élan continu de créativité qui passe à travers l’espèce humaine : en dépit de tous les livres écrits, de tous les tableaux peints, de toutes les sculptures burinées ou modelées, de toutes les musiques composées, de toutes les architectures lancées vers le ciel, nous arrivons, chaque jour, à concevoir de nouvelles œuvres, à faire surgir de nouvelles beautés dont le flux ininterrompu vient s’ajouter et enrichir celui, incessant, de la nature et de la création.
On pourrait penser que, depuis les millénaires que nous gravons, peignons, écrivons, composons, construisons, tout a désormais été dit, pensé, représenté, chanté, construit ; que nous ne pouvons que répéter ou singer ce que d’autres, avant nous, ont conçu et créé. Mais il n’en est rien : notre inventivité, notre capacité à créer du neuf et du beau est intacte, sinon même étendue par l’inspiration qui naît de la contemplation, de la confrontation aux œuvres passées ; loin de s’en épuiser, notre imagination s’accroît de tout ce qui est créé.
Nous créons de la beauté avec des œuvres originales, nées de nos techniques singulières et de notre seule imagination, tels les romans, les poèmes, les musiques, les objets d’art ou cette vidéo onirique, cette approche sensuelle et dansante de la forêt réalisée par Chloé Belloc et vue hier à la galerie de l’Académie des Beaux-Arts. Mais nous créons aussi de la beauté dans la reproduction, la simple reproduction détaillée et objective de la réalité existante, de la nature dans sa matérialité essentielle. C’est ce qu’on découvre et ressent, avec pour ma part surprise, émotion et compassion, à la vue de ces reproductions fidèles de visages et de corps humains comme ceux qu’on découvre tout au long de l’exposition que le Musée Maillol consacre à Hyperréalisme. Ceci n’est pas un corps..
Le contexte muséal, cette mise en lumière et en valeur particulières qui préparent l’esprit à se recueillir, à recevoir et à admirer ce qui lui est désigné comme œuvre, joue certainement un rôle dans le choc qu’on éprouve. Il y a évidemment aussi la beauté triomphante de certains de ces corps. Mais ce qui bouleverse plus que tout, c’est, de façon très paradoxale, le sentiment de réalité qui émane de ces statues et l’émerveillement dans lequel nous plonge la possibilité d’observer de près et longuement ce que la vie ou les conventions sociales nous empêchent ordinairement d’examiner, ou seulement chez celles et ceux que nous aimons : le grain de la peau, le paysage des rides, l’arche de la clavicule, la forme particulière de la main ou du pied.
Au bout du bout de cette reproduction dépassionnée des êtres, seraient-ils très éloignés des règles canoniques, c’est un hymne à la splendeur, à la perfection fragile du corps, de la nature, de la création. Et c’est de la résonance de cet hymne dans notre esprit que naît l’émotion : la reproduction du réel, quand elle est conduite à son extrémité, devient récréation.
En illustration sonore, A pile of dust, de Jóhann Jóhannsson, tiré de l’album Orphée.
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Tu imagines comme ton billet me parle, moi qui me suis emplie d’art pendant trois jours…
Je me faisais justement la même réflexion que toi : à partir d’une palette de couleurs, d’une portée musicale ou d’un alphabet, quelle richesse infinie de créations savons-nous faire surgir ! C’en est étourdissant. Et terriblement passionnant. Parce que plein d’espoir aussi, sans doute, sur le fait que notre engeance ne serait pas complètement pourrie…
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