Absolution, rédemption et préférence pour le présent

Main de justice au-dessus du porche de la chapelle de l’Abbaye de Chancelade (Dordogne)

Les économistes parlent de préférence pour le présent pour exprimer le fait que, toutes choses égales par ailleurs, la valeur qu’on accorde à un bien est plus importante lorsqu’il est immédiatement disponible que lorsqu’il ne l’est que dans un certain temps.

Ce qui vaut, en économie, vis-à-vis du futur, vaut plus encore, dans le domaine éthique, vis-à-vis du passé.

Il y a quelque chose de scandaleux et de révoltant dans le principe de l’absolution, lorsqu’elle est accordée à des femmes ou à des hommes qui ont commis le mal dans le passé. Mais il y aurait quelque chose de plus scandaleux et révoltant encore à ne pas leur accorder. Car en définitive, face au présent, le passé ne pèse rien et c’est très bien ainsi.

Quelle que soit la place qu’il occupe dans nos consciences, le passé n’existe pas. Son résidu, ses conséquences, ses traces peuvent demeurer ; mais le passé lui-même est disparu dans l’abîme du temps. C’est pourquoi le mal et le bien qui ont été commis hier ne sont rien au regard de l’action actuelle. La justice peut demander des comptes ; les victimes peuvent réclamer vengeance ou réparation mais s’il y a eu rédemption, si le coupable, revenu au fond de son coeur de ses crimes et du mal, mène une existence de bonté, au nom de quoi le persécuter ?

Les Misérables, de Victor Hugo, est une mise en scène de ce problème éthique : Jean Valjean (qui à vrai dire n’a jamais été très méchant) est devenu un saint laïque sous le nom de Monsieur Madeleine. Au nom de quoi Monsieur Madeleine, qui est l’incarnation du bien, devrait-il payer pour les crimes passés de Jean Valjean ?

Quelque chose, en nous, se tord à l’énoncé de cette question : Jean Valjean est un personnage magnifique, un homme sublime pour lequel nous avons une immense tendresse. Mais nous ne sommes pas prêts à accepter une extension générale de l’absolution que nous sommes prêts à accorder au héros des Misérables. Nous ne voulons pas que des criminels, des méchants, même changés, puissent être absous.

Ils ont dû se poser la question, les Klarsfeld, Wiesenthal et autres chasseurs de nazis, lorsqu’il s’est agi de mettre la main sur d’anciens criminels. Non pas du point de vue de la justice des hommes (là, l’affaire était sans ambages) mais sur le fond : pourquoi venir embêter cet homme qui, à cet instant, menait ses affaires tranquilles en Argentine ?

Le critère, c’est sans doute la rédemption. Il ne suffit pas que le passé ait plongé dans le passé et que le présent en diffère pour laisser les morts enterrer les morts ; il faut que la personne se soit rédimée, que repentance il y ait eu et qu’elle se soit manifestée.

Dans ce cas là, et quelle que soit la colère qui bout en moi et me bouleverse, je ne suis pas sûr que le passé doive peser de quelque poids que ce soit vis-à-vis du présent qui seul existe.

Et cela vaut dans l’autre sens aussi : une vie dévouée au bien n’est rien comparée au mal qu’on commet aujourd’hui.

Aldor Écrit par :

2 Comments

  1. 2 août 2023
    Reply

    Bonjour, Merci pour ce texte qui questionne profondemment sur les questions du bien et du mal, ainsi que du passé et du présent. Peut-être que le bien et le mal sont deux concepts inventés initialement pour des raisons oubliées aujourd’hui ? Peut-être que le bien et le mal n’existent pas en réalité mais sont simplement les conséquences agréables ou désagréables, positives ou négatives de causes passées ? Chaque cause ayant un effet manifesté parmi d’autres. Et chaque effet devenant lui-même potentiellement la cause d’un autre effet ? J’avoue que ces 2 concepts m’interrogent ces derniers temps.
    Quant au passé et au présent, le premier n’existant pas dans l’instant peut-il vraiment être jugé ? Il ne faudrait pas oublié cependant que ce passé fait de nous ce que nous sommes dans le présent. C’est sur lui que se (re)pose notre personnalité consciente et inconsciente. Quand j’observe mes pensées je me rends compte qu’elles sont continuellement soit dans le passé, soit elles brodent un futur hypothétique à partir de ce passé même qui n’existe pas mais qui a existé pour ma mémoire qui en garde une trace vive. Seul le présent, sans doute, mériterait notre attention consciente et constante…
    Merci et belle journée.

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