“La cohérence est l’arme des petits esprits ” déclare, dans Elizabeth Costello, livre dont je reparlerai, un des personnages.
Je n’aurais pas dit les choses ainsi mais, pour me surprendre souvent à glisser moi-même sur cette piste facile et malvenue, je trouve la formule bien trouvée : le défaut de cohérence qu’on pointe parfois chez les personnes dont nous ne partageons pas les positions ou les thèses est un argument de second rang. Au lieu de s’en prendre à la thèse elle-même, on s’en prend à la personne qui ne se comporte pas comme elle le devrait au regard des positions qu’elle affiche. Or si cela permet de décrédibiliser la personne et de mettre en cause son authenticité et sa sincérité, cela ne dit rien de la thèse proprement dite, dont la qualité ou la véracité ne dépend pas, en toute rigueur, de la sincérité de ses partisans, ou du caractère irréprochable de leur comportement. Prétendre qu’une thèse est fausse au motif que celle ou celui qui la défend y déroge tombe donc à côté.
Il y a néanmoins un cas, un type de cas plutôt, dans lequel l’argument de cohérence est parfaitement adéquat ; c’est celui des préceptes de vie à vocation universelle, qui définissent non pas seulement des comportements idéaux mais des comportements à mettre absolument en oeuvre, ici et maintenant. Car si l’on peut ne pas être parfait (qui nous jettera la première pierre ?) et donc transiger parfois avec l’idéal, on ne peut en revanche pas établir des règles de vie censées s’imposer à tous et s’en abstraire soi-même. Car dans cette dispense que nous nous octroyons, le caractère impératif et universel du précepte se nie, faisant lui-même l’aveu de sa fausseté.
Or ces cas sont très courants. Il est en effet beaucoup plus mobilisateur de défendre des règles et des positions fortes et intransigeantes que d’encourager à des petits pas, à un réformisme tiédasse et un peu médiocre, toujours soupçonné (à juste titre, d’ailleurs) de manquer de courage et de foi. On est donc toujours écartelé entre le Charybde de l’ambition mobilisatrice mais peut-être irréaliste, et le Scylla du pragmatisme qui, sous couvert de réalisme, finit souvent par s’embourber dans le conservatisme le plus étroit.
C’est là que le critère de cohérence peut permettre de fixer le curseur : si nous ne sommes pas capables de suivre nous-mêmes les devoirs que nous fixons à tous, notre prétendue ambition n’est qu’une fuite devant la réalité. Mais, inversement, si les suivre ne nous cause aucune difficulté, si notre alignement est aisé et naturel, c’est probablement parce que nous nous mentons, ou que nous avons, en fait, renoncé.
Ne sont vraies et importantes que les choses vibrantes, vis-à-vis desquelles la cohérence n’est jamais totalement acquise.
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