Ne pas oublier les autres

Juli Gonzàlez, Cap de la Montserrat cridant,
(c) Museu nacional d’art de Catalunya, Barcelone

La femme de Montserrat, sculptée par Juli Gonzàlez, et qui hurle sa douleur, n’a ni camp ni patrie. C’est une paysanne catalane (mais elle pourrait être de partout), et on ne sait si elle a été victime des crimes fascistes dénoncés par Georges Bernanos ou des exactions républicaines dénoncées par Simone Weil. Et cela importe peu car cette femme, cette Pietà moderne, incarne, dans la souffrance de son cri, toute la douleur humaine, l’universelle et unique douleur humaine.

Une victime innocente est une victime innocente. En Espagne, au Proche-Orient comme sur le reste de la planète ; en ce temps comme en d’autres. Et chacune, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne, en quelque temps qu’elle vive ou ait vécu, incarne l’humanité écrasée par le malheur.

Aussi profondément odieux et injustifiables qu’aient été les actes terroristes commis par le Hamas le 7 octobre dernier, l’histoire n’a pas commencé ce jour là, et dans cette longue et terrible histoire, les victimes innocentes sont de tous bords.

Les otages israéliens, et plus encore peut-être les victimes des massacres du 7 octobre, sont, eux aussi, une figure de l’humanité blessée. Ils le sont totalement et sans la moindre réticence, sans le moindre “néanmoins.”

Ils ne sont pas les seuls. D’autres, dans cette région du monde et ailleurs, sont aujourd’hui pareillement victimes et pareillement innocents : d’autres sont leurs frères et soeurs en souffrance. Il ne faut pas les oublier.

Nous avons tous nos appartenances, réelles ou imaginaires, qui nous font nous sentir plus proches, ou moins étrangers, de certains que des autres. Cette préférence, ancrée dans nos gènes (la préférence, pas l’appartenance), ne soulève pas de problème en soi. Mais elle devient terrible quand elle conduit à oublier les autres, à nier le malheur des autres, et plus encore, à l’appeler de ses voeux.

On ne peut pas, chaque fois qu’il est question d’un malheur, le replacer dans la longue histoire, la géographie exhaustive des malheurs du monde ; cela serait trop long. On ne devrait pas avoir à le faire. Chaque malheur devrait nous rappeler le malheur de tous sans qu’il soit besoin de le signifier.

Mais qu’elle soit exprimée ou qu’elle reste muette, jamais la pensée des autres victimes innocentes ne devrait nous quitter. Car pas plus que la femme de Montserrat, l’innocence et la douleur n’ont de camp ou de patrie. Et ce serait trahir chaque victime innocente, notamment celles dont nous nous sentons proches, que d’oublier les autres.

Une victime innocente est une victime innocente.


Aldor Écrit par :

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