« Il y a une limite précise dans l’aide apportée aux autres. Au-delà de cette limite, invisible à beaucoup, il n’y a que volonté d’imposer sa propre façon d’être », observe Modesta, la libre et superbe héroïne de L’Art de la joie, de Goliarda Sapienza.
Cette pensée, qui me rappelle à la fois un propos, longtemps incompris, de Katia, et un échange montmartrois avec Thierry, illustre la vibration, l’ambivalence des choses importantes, et leur propension à se retourner comme des gants : c’est parfois au fond de ce qui ressemble à de l’égoïsme que palpite l’altruisme et il y a des attitudes qui paraissent altruistes et bienveillantes mais qui ne recouvrent en fait qu’égoïsme et volonté de puissance.
Les parents, les enseignants, les chefs d’équipe, les entraîneurs, les officiers, les amis et parfois les amants font quotidiennement l’expérience, ou côtoient plutôt régulièrement ce paysage fractal de l’accompagnement dans lequel il suffit d’un presque rien pour basculer de l’aide à l’abus, du soutien à l’écrasement. On voulait être gentil et simplement guider les pas mais on a fini par devenir indispensable et par enfermer dans son rôle d’enfant, d’élève, de disciple, celui qu’on voulait faire grandir. À moins que, sous couvert d’aide, on n’ait délibérément ou inconsciemment fait en sorte de le garder sous notre coupe.
Se faire rétorquer par quelqu’un à qui l’on demande un appui que c’est notre problème et qu’on doit se débrouiller tout seul est toujours une expérience désagréable, une claque prise dans la figure. Mais c’est souvent salutaire car, dans bien des cas, il n’y a que nous pour pouvoir surmonter les inhibitions qui nous empêchent vraiment d’avancer.
Mais c’est dans une autre situation que l’adresse : « C’est ton problème » prend vraiment son sens. Il s’agit de ces moments où quelqu’un, devant nous, comprend mal un propos, réagit mal à ce que nous lui disons, montre de la rancoeur ou un comportement désagréable, perfide, méchant, et prétend nous en attribuer la responsabilité. Eh bien, même si les interactions sociales font que nous avons toujours une part de responsabilité dans le comportement des personnes autour de nous, le : « C’est ton problème » souligne que c’est d’abord à chacun d’assumer la responsabilité de ses actes, de ses pensées, de ses façons de faire, et qu’en rendre les autres les premiers responsables est une fuite et un déni. Je ne saurais, moi, être tenu pour premier responsable de ce que l’autre, en face de moi, choisit de faire, de comprendre ou de penser, ce choix découlant le plus souvent de ses propres fantasmes, de ses propres obsessions, de ses propres peurs.
Notre monde est rempli de contexte et d’interactions. Ces éléments pèsent mais ils ne nous enchaînent pas. Aussi lourds et encombrants soient-ils, nous gardons notre liberté, et la pesanteur du monde, jamais, ne se fige en destin.
Mais cela est d’autant plus facile que, chacun pour ce qui nous concerne, nous appliquons la règle difficile édictée par Modesta et savons apprécier la limite au-delà de laquelle nous devenons, même avec la plus grande gentillesse, abusif.
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Bonjour je viens de découvrir vos écrits/promenades/improvisations. J’adore, belle journée. Bérangère
Merci Bérengère !
Bonne journée à vous aussi.
Bernard