Le subalterne

Objets exposés au Museu etnologic i de cultures del mon de Barcelone

Il y a à Barcelone un Musée éthnologique dont la conception, la collection et la présentation rappellent ce que fut pendant longtemps le Musée national des Arts et Traditions populaires, dont le fonds a, depuis, rejoint le MUCEM à Marseille. Ce sont des objets du quotidien qui sont exposés, mis en scène dans des sortes de tableaux de genre ou donnés à toucher.

Le musée, est-il expliqué dans une vitrine rendant hommage à deux de ses fondateurs, Joan Amades et Ramon Violant, “exalte l’héritage de la subalternité” (je ne suis pas sûr que ce substantif existe vraiment en français).

Le subalterne (nommons le plutôt ainsi) fait parfois penser au sel de la vie justement honoré par Françoise Héritier mais il est plus discret encore : on sait du sel qu’il exalte la saveur des choses, qu’il leur donne du piment et du piquant, qu’il est ce je-ne-sais quoi, ce presque rien qu’il suffit de percevoir pour vivre chaque instant de sa vie comme un éclat de bonheur. Le subalterne est moins pimpant. Il se cache (ou se révèle, peut-être ; les deux souvent se confondent) dans la banalité, la presque invisibilité, noyé qu’il est sous le lourd voile des habitudes : c’est la beauté des assiettes et des bols identiquement tournés depuis des millénaires, la pureté des objets usuels, la rondeur des choses qu’on ne remarque pas tant elles sont là depuis toujours. Il y a pourtant, dans cette quasi-invisibilité, l’immense douceur, l’infinie rassurance des choses familières.

Le subalterne, dans sa pérennité, sa lente évolution plutôt, nous est comme un doudou, comme ces rites et règles chères à Katia, dont la vue, le toucher, l’odeur, nous aident à affronter la course du monde sans totalement y perdre la raison. Ce sont ces intérieurs à la Sempé, ces ustensiles, ces bibelots, ces accessoires, ces marrons et galets au fond de nos poches qu’il suffit de tenir pour être en lien avec nous-mêmes, avec le nous-mêmes d’avant. Et de ces choses, de ces choses solides mais néanmoins sensibles au passage du temps, nous aimons l’usure et le vieillissement, la patine, comme nous aimons, chez celles et ceux que nous aimons, la lente et magnifique apparition des rides et des mèches blanches.

C’est leur imperfection et leur usure que nous chérissons dans les choses qui nous sont chères : les entailles, les ébrèchements, les rayures, les bosses, tout ce passé riche mais encombrant, que nous aimons mais qui nous pèse. C’est lui que nous aimons incorporer dans les choses familières, dans ces memories que nous gardons auprès de nous, pour nous en débarrasser tout en les conservant et pouvoir, chaque jour, nous plonger dans le présent.

Aldor Écrit par :

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