Voir et savoir

Pointant l’autre soir mon appareil et son grand téléobjectif vers le ciel et le sud, je prends la photo illustrant ce papier, sur laquelle on devine Saturne et son anneau.

On devine cela parce qu’on sait que Saturne a des anneaux. Sans ce savoir, on ne distinguerait rien d’autre qu’une tache allongée. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Galilée qui, observant pour la première fois la grande planète avec une lunette assez puissante pour laisser voir le disque planétaire, crut voir une planète triple : une grosse planète entourée de deux autres petites. C’est Huygens puis Cassini qui, cinquante ans plus tard, disposant de lunettes plus puissantes, distinguèrent vraiment les anneaux et purent théoriser leur existence.

Ma photo montre probablement la même chose que ce que vit Galilée ; mais moi je sais, ce qui me permet de voir ce que Galilée, en dépit de tout son génie, ne pouvait pas voir : pour voir, il faut déjà savoir, pour paraphraser Pascal (et peut-être aussi, disent certains, Rûmi, ou Augustin, ou peut-être les deux).

L’autre chose étrange, dans l’affaire, c’est ma joie : je suis très content d’avoir, sur mon appareil, cette photo de Saturne horriblement floue, et d’avoir pu moi-même la capturer.

Des photos superbes de Saturne, prises par des télescopes et surtout des sondes spatiales, on a pourtant aujourd’hui à foison, et incommensurablement plus belles et plus précises que celle-ci. Cette photo n’apporte rien à rien. Et pourtant, de l’avoir faite, je suis content.

J’ai du mal à comprendre ce que recouvre ce contentement.