Les victimes n’ont pas de camp

Affichettes arrachées dans les rues de Paris, 19 novembre 2023

Une chose est de ne pas mettre sur le même pied les actions militaires ou armées de deux camps en combat, parce que tout n’est pas égal à tout, qu’il y a des actions totalement odieuses et d’autres qui, quoique meurtrières, n’ont pas ou pas forcément de dimension sadique ou terroriste, parce que les uns ont commencé et que les autres n’ont fait que rétorquer (encore que la recherche de la cause première, du premier coupable soit le plus souvent vouée à se retourner sans fin, à s’enliser, et s’avère au bout du compte dépourvue d’intérêt) ; autre chose est de représenter asymétriquement les victimes. Car s’il est juste de différencier les méthodes de combat et s’il peut être salutaire de ne pas mettre dans le même sac ceux qui luttent pour une cause ou pour une autre, cette différenciation ne vaut pas, ne vaut absolument pas pour les victimes, les victimes qui ne sont pour rien dans la violence et le malheur qui s’abattent sur elles, et à travers lesquelles, quel que soit leur camp, toute l’humanité souffre et est blessée.

Les victimes n’ont pas de camp, et nous devrions, toutes et tous, nous reconnaître en chacune d’elles, quelle qu’elle soit, sans qu’il soit besoin de respecter, dans la présentation, une sorte d’équilibre macabre du malheur. Dans chacune d’elles, quelle qu’elle soit, nous devrions nous reconnaître.

Mais on ne peut cependant pas s’affranchir totalement d’un tel équilibre. Car quand l’asymétrie des représentations est trop grand et que les seules victimes montrées sont celles d’un camp particulier, c’est comme si celles d’en face n’existaient pas ou plutôt qu’elles n’étaient pas vraiment des victimes. Or une chose est de ne pas confondre, à juste titre, les combattants, les combats et les luttes, de différencier les responsabilités et les jugements portés sur les uns et les autres ; une autre est d’étendre ce jugement tranché aux victimes, et de considérer que certaines sont finalement coupables de ce qui leur arrive et ne méritent donc pas notre compassion.

Qu’on porte plus d’attention aux victimes qui nous sont proches qu’à celles qui, à tort ou à raison, paraissent plus éloignées, c’est normal et sain. Mais qu’on oublie les victimes de l’autre camp, ou que, dans notre façon d’en parler, on manifeste qu’on les juge moins importantes, moins dignes d’attention, de respect ou de compassion que les autres, et on s’engage alors sur le chemin de la propagande, qui conduit au pire.

Aldor Écrit par :

Soyez le premier à commenter

    Laisser un commentaire

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.