Il y a une façon de rendre hommage aux gens, que nous pratiquons tous, je pense (du moins je sais que cela m’arrive) et qui est à la fois irritante et malvenue. C’est celle qui consiste à souligner non pas les qualités intrinsèques d’une personne ou de son œuvre mais la notoriété des hommes et des femmes qu’elle a côtoyées, avec lesquelles elle a travaillé, qui en ont parlé, qui s’en sont inspirées ou qui l’ont appréciée. Comme s’il était nécessaire de couvrir cette personne de l’habit de gloire tissé par ses fréquentations, parce que, sans lui, elle serait nue et dénuée d’intérêt.
Je fais parfois cela et je m’en mords les doigts, tellement c’est rétrospectivement méprisant et méprisable. À la fois pour la personne dont nous voudrions montrer l’éclat, et dont nous ne parvenons finalement qu’à souligner la capacité lunaire à refléter la lumière émise par d’autres ; pour nos interlocuteurs que nous traitons comme s’il fallait les appâter avec des arguments de bateleur de foire ; et pour nous mêmes, parce que ce discours reflète aussi la médiocrité de nos attachements, notre sensibilité à la vaine gloire, ou du moins notre incapacité à nous en détacher totalement.
Mais il est tellement difficile, parfois, de dire ce qui est vraiment important, ce qui nous séduit et nous enchante ; tellement difficile, déjà, de le désigner, de le saisir, lui qui nous inonde, nous submerge, nous transit, mais que nous sommes incapables de cerner, d’appréhender, de définir. Alors, faute de mieux, on se raccroche et se rassure avec cette légitimité seconde mais incarnée, visible, opposable, qu’offre le regard des autres. Je me souviens, ainsi, d’avoir dit un jour à Katia, qui me ria au nez, qu’une des choses qui pouvaient m’attirer vers la religion était non le divin, que je ne saisissais pas, mais les qualités humaines qu’on rencontrait souvent chez les croyants. Elle se moqua (car elle a quelques défauts), et pourtant ça n’était pas une mauvaise raison.
Mieux vaut pourtant, quand on le peut, quand tout, dans notre attirance, notre admiration, notre amour, ne relève pas de l’indicible, de l’ineffable ou de ce genre d’émotion qui non seulement s’échappe mais se brise et se décompose sous le scalpel de l’analyse ; mieux vaut, quand on le peut, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment pour les choses essentielles, se référer à ce qui irradie des personnes et de leur oeuvre plutôt qu’à leurs qualités extrinsèques, à leurs atours mondains, aux lumières qu’elles reflètent et réfléchissent, aussi éblouissantes soient-elles.
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