Oser trahir

André Sureda, Les derviches turcs tournant
(c) Musée Rolin, Autun

Traduttore traditore : qui traduit trahit toujours un peu ; et qui se refuse absolument à trahir jamais ne pourra traduire.

Il faut, pour traduire, accepter de changer un instant de point de vue, vouloir sortir du cocon, de la familiarité, mais aussi de la discipline d’expression et de pensée que crée et en quoi consiste le “génie de la langue”, cette façon particulière que nous avons de dire et de bâtir le monde en le disant.

Tout peut probablement être dit dans toutes les langues mais pas de la même manière ni selon le même cheminement. Ce n’est pas seulement question de mots, de syntaxe, de grammaire et de déclinaisons ; non plus que de sons, de rythmes et de rimes. La langue crée des catégories, des genres, des affinités, des oppositions, des subjectivités ; elle construit ce qu’elle décrit et organise le monde selon les règles de sa syntaxe.

Traduire, en s’extrayant du cocon de sa langue, c’est briser la chrysalide du sens commun (au sens de partagé) pour permettre à la pensée, à une pensée qui se transforme dans cette métamorphose, de prendre son essor pour embrasser un nouveau monde.

Ceux qui se refusent à tout compromis, à toute compromission, à tout écart vis-à-vis de la parole originelle, de la façon orthodoxe – à chacune et chacun orthodoxe – de considérer les choses, jamais ne traduiront, comme jamais ils n’aimeront, ni ne permettront que se rapprochent et tentent de se comprendre deux pensées étrangères. Arc-boutés sur leur vision, leur structuration du monde, ils n’imaginent pas qu’une autre vision existe, ou plutôt ils le refusent. Ils constatent que cette autre vision existe mais lui dénient toute consistance, toute rationalité, toute légitimité. Et tournant sur eux-mêmes comme des danseurs soufis, ils tombent dans le vertige d’eux-mêmes.

C’est pourquoi il faut parfois oser trahir, se refuser à la discipline des partis, des camps, des familles, des siens ; ne pas se laisser enfermer par les injonctions à la fidélité qui tournent et tournent comme des cercles, des spirales vicieuses qui engloutissent toutes les bonnes volontés, et détruisent dans leur course tous les ponts qu’on avait tenté de lancer pour relier les rives opposées.

Aldor Écrit par :

2 Comments

    • 13 décembre 2023
      Reply

      Merci Christine !

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