Une place pour autre chose

Je rentrais du cours de théâtre quand je vis cette affiche et compris une des raisons du plaisir qu’elle me procurait. C’était non seulement la beauté du visage féminin qui y était représenté, photographié même, mais sa nouveauté.

Nous nous promenons, nous randonnons, nous voyageons à travers le monde pour découvrir de nouveaux paysages, le spectacle changeant et magnifique de la nature sous les différents cieux. Mais rien, dans la nature (dans le reste de la nature), n’est aussi riche, divers, incessamment renouvelé que les créations humaines ou ces créations si particulières, qui ne sont que pour partie humaines, que sont les visages.

Comment ne pas être ébloui par la diversité immense, et probablement infinie, des visages que nous croisons au long de notre vie, par la capacité de la beauté humaine à revêtir mille et mille formes diverses ?

On a beau avoir beaucoup vécu, beaucoup voyagé (ce qui n’est guère mon cas), beaucoup vu de photos, de tableaux, de films, de sculptures, on ne croise jamais deux fois le même visage, sauf chez la même personne. A chaque instant, dans nos grandes villes, dont c’est un des attraits, nous nous plongeons dans un flux continu de visages nouveaux, que nous avons la faculté de distinguer de tous ceux que nous avons déjà croisés, et cette plongée dans le grand fleuve ininterrompu de la diversité humaine nous procure un plaisir infini.

Le plus grand plaisir, toutefois, est la prise de conscience, souvent tardive, l’acceptation joyeuse et reconnaissante de notre incapacité à tout connaître, le plaisir apaisé de savoir que jamais nous ne connaîtrons tous les visages, tous les visages de la beauté, qu’une part nous restera toujours étrangère, et que c’est bien ainsi.

Le drame de Dom Juan, des personnages du Marquis de Sade ou de ceux de la Grande bouffe, est de pas atteindre ce plaisir, et de lui préférer le désir fondamentalement insatiable, mortifère, de tout connaître, de tout savoir, de tout expérimenter, de tout aimer.

il faut probablement le sentir en nous, ce désir, car il est une des expressions de la vie ; mais le sentir sans y céder, sans s’abandonner à cette avidité sans fin, à cette avidité suicidaire qui jamais ne peut atteindre son but.

Et cela, nos sociétés aussi doivent l’apprendre : qu’il existe un plaisir à jouir de la beauté du monde sans en faire sa chose, sans chercher à en explorer, à en épuiser, à en exploiter la totalité ; qu’il existe un plaisir à maintenir et à savoir qu’existe un au-delà, un intouché, une place pour autre chose.

Aldor Écrit par :

2 Comments

    • 10 décembre 2023
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      Merci Christine.

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