Last updated on 6 février 2024
J’assistais l’autre soir à une intéressante conférence sur les différences et rapprochements qui pouvaient être faits entre les cultures chinoise et française, entre Confucius et Tocqueville pour reprendre l’intitulé utilisé dans l’invitation.
C’était dans le cadre d’une association fondée dans les années cinquante et qui s’est donnée pour but de mieux se faire mutuellement connaître et comprendre les sociétés et cultures d’Asie et d’Occident. Et écoutant l’oratrice (et enfonçant, comme je le fais si souvent, une porte depuis longtemps largement ouverte), je monologuais, en mon for intérieur, sur le même et l’autre, l’attrait et la peur de l’autre, l’attrait et la lassitude (le dégoût, peut-être) du même, l’amour des mers et des terres étrangères ; et celui des ponts, aussi, qui permettent pourtant de les franchir, et de s’affranchir, d’une certaine façon, de cette altérité si désirée.
L’histoire des hommes, et plus largement celle de l’espèce humaine, est histoire du même et de l’autre, une danse perpétuelle, entre l’universel et le particulier, l’unification et la différenciation, le simul et le singulis.
Aussi bien que nous soyons avec nous-mêmes, aussi heureux que nous soyons de nous couler dans le moule confortable et intimement connu de nos habitudes, nous voulons de l’autre, au point de le créer quand il n’existe pas, de susciter de l’altérité là où l’identité domine. C’est à cela aussi que servent les nations, les cultures, les modes, les civilisations, les langages et peut-être les âges et les sexes.
Et justement j’avais le sentiment, écoutant l’oratrice parler devant un parterre plutôt bon chic bon genre, de vivre une de ces scènes de la série américaine V, les visiteurs, dans laquelle, la Terre ayant été approchée par des extraterrestres, des individus des deux peuples se rapprochent, nouent des relations et essayent de mieux se comprendre ; mais certains parmi eux sont altruistes, curieux, ouverts et pleins de bonne volonté tandis que d’autres ne sont appâtés que par l’espoir du gain et du pouvoir, sont des traîtres en puissance ou plutôt, car c’est le point de référence de la série (comme on pourrait parler du point Godwin), des collabos.
Celui qui essaie de se rapprocher de l’autre, celui qui, en l’autre, voit d’abord le même, prend toujours le risque d’être considéré comme un traître ; et il l’est effectivement parfois. Mais ce que nous apprend la lecture de François Jullien, la lecture de ce beau petit livre qu’est De l’évasif, c’est que cette façon de considérer les choses, de voir les oppositions et les trahisons avant les liens et les compagnonnages, cette façon de structurer le monde en blocs étrangers ou hostiles, est peut-être en partie un effet de langage, parce que nos langues occidentales, et ce partant notre pensée occidentale, et ce partant la science occidentale sont fondées sur la différence, l’existence de catégories distinctes quand d’autres pensées mettent l’accent sur l’évasif, les marges et les discontinuités.
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