Au commencement

Une aube vue du train

Dater le commencement, dire quand advint, quand commença d’advenir le monde dans lequel nous vivons, préciser le moment exact où l’inflexion se fit, où la dérivée de l’histoire prit un signe nouveau, tout cela ne change rien à la factualité des choses, à leur substance. Et pourtant tout est changé, tout peut être changé de la perception, de la compréhension de ces choses en elles-mêmes inchangées.

On en a un exemple, tragique, avec le 7 octobre, avec les massacres commis le 7 octobre en Israël par le Hamas. Sur les faits mêmes, horribles, qui eurent lieu, il n’y a pas de doute ; non plus du reste que sur le caractère terroriste, inhumain, indéfendable, des actes qui furent alors commis.

Mais ces massacres ne se lisent, ne s’interprètent pas de la même façon selon qu’on considère qu’ils marquent le début d’une période nouvelle ou qu’ils prennent place dans une durée plus longue, dans une histoire tachée déjà de violence et de sang. Cette différence de perspective est une des causes du désespérant et douloureux dialogue de sourds auquel on assiste depuis des mois, entre ceux qui exigent que tout propos sur la guerre actuelle, sur la destruction, la désolation et la mort que l’armée israélienne sème actuellement à Gaza, débute par une condamnation des massacres du 7 octobre, et ceux qui considèrent qu’aussi horribles aient été ces massacres, ils sont la suite d’une longue histoire ayant déjà fait des dizaines de milliers de victimes ; qu’il n’y a donc pas plus lieu d’exiger une condamnation préalable des actes du 7 octobre qu’il n’y a lieu d’exiger une condamnation préalable de toutes les opérations israéliennes ayant conduit, depuis des dizaines d’années, à la mort de milliers de civils palestiniens ; et qu’il y a, dans l’imperception même du caractère scandaleux de ce déséquilibre, dans l’incapacité dans laquelle certains paraissent être de distinguer ce “deux poids, deux mesures”, quelque chose d’humiliant et d’inhumain, une façon de dire (même pas de dire : de faire comme s’il allait de soi) qu’elles ne pouvaient évidemment être que d’un côté, les victimes innocentes.

À faire commencer les choses le 7 octobre, à produire un récit dans lequel l’horreur qui déferla ce jour-là ne sort de nulle part, jaillit inexpliquée d’une contrée paisible où tout se passait bien, on ne fait pas que réécrire l’histoire, on la rend incompréhensible. On s’empêche de voir que si ce qui se passe aujourd’hui à Gaza peut être vu comme une réaction au 7 octobre, c’est surtout la répétition d’une histoire mille fois jouée, celle des Palestiniens écrasés par Israël dans l’indifférence des grandes nations, comme si leur vie valait pas celle des victimes du 7 octobre, comme si le droit à vivre heureux et en paix ne valait pas pour elles.

En faisant du 7 octobre un commencement, on s’interdit de voir tout ce qu’il y a comme recommencement, comme simple et tragique recommencement, dans l’immolation des Gazaouis dans le silence des nations.

Aldor Écrit par :

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