Les gens

On parle beaucoup des gens, ces derniers jours, de la façon dont les gens pensent, votent, réagissent, de ce qu’ils aiment et qu’ils n’aiment pas, de ce qu’ils se disent, vont probablement faire, peut-être refuser, de leurs motivations, de leurs passions, de ce qui les anime, de leur comportement, attirances, réserves ou détestations vis-à-vis des partis et des programmes.

Ils ne sont pas tout à fait nous, ces gens, mais pas non plus tout à fait des étrangers. On les sent bien, on croit les sentir bien ; c’est pourquoi on en parle avec une telle faconde, une telle facilité, une telle sûreté, une telle assurance : pour nous-mêmes (qu’est-ce qui nous fait agir comme ceci ou cela, au bout du compte ?), nous ne savons pas trop, mais pour les gens, nous savons, nous connaissons précisément leurs obsessions, leurs peurs, leurs envies, les rouages intimes de leur psyché : nous en savons plus sur eux que sur nous-mêmes.

C’est que les gens sont des autres nous-mêmes, des nous-mêmes qui n’auraient pas atteint l’état de sagesse, d’équanimité, de distanciation, de rigueur intellectuelle que nous ont permis d’atteindre nos études, notre expérience, notre culture, voire notre relative aisance matérielle.

Il y a, bien évidemment, de la condescendance et du dédain dans l’emploi de cette expression, aujourd’hui comme au temps des gilets jaunes ; mais il n’y a pas que cela. “Les gens”, cela fait penser aussi (penser seulement, je ne dis pas que ce soit la même  chose) à ce diable dont on prétend parfois se faire l’avocat alors que ses paroles, que ses critiques, que ses arguments n’ont rien de satanique, rien qui soit l’œuvre du Malin mais qu’ils reflètent seulement nos propres appréhensions, nos propres réserves, celles que nous n’osons publiquement formuler en notre propre nom.

Il y a, dans “les gens”, une part de nous-mêmes qui se dévoile : la part rétive à notre auto-contrôle, à notre autocensure, à notre conception de ce qu’il est convenable de penser, dire et faire ; une part que nous rejetons, avec laquelle nous refusons d’être confondus, une part avec laquelle il serait faux et malhonnête de nous confondre mais qui est tout de même, indiscutablement, une part de nous-mêmes, cette part qui fait peuple et dont nous ne saurions complètement nous abstraire car nous nous en sentons, peu ou prou, comptable et partie prenante, aussi profond et essentiel soit notre désaccord – et Ô combien peut-il l’être ! Car de l’Autre, de l’Autre vraiment autre, de l’Autre avec lequel nous ne partageons rien, nous ne disons jamais, il ne nous viendrait jamais à l’esprit de dire “Les gens”.

Les gens, ce sont les autres qui sont un peu nous-mêmes, avec lesquels nous formons masse. Un peu le contraire de ces gens-là.


Aldor Écrit par :

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