Politique

Affiches sur les murs d’Avignon

Grâce à Béatrice, j’ai passé deux journées entières, et même un peu plus, au festival d’Avignon. Ce qui est à la fois très peu et beaucoup. Et pendant ces deux jours, loin des jeux de rôles et de pouvoirs qui prenaient place et étalage sur la grande scène parisienne, j’ai vu, vécu, mangé et bu du théâtre, du vrai, du théâtre jour  et  nuit, sans discontinuer.

Rien de plus politique, de plus intimement et intelligemment politique, je le sais bien, que l’organisation et la tenue d’un festival comme celui d’Avignon qui requiert, y compris le festival Off, de considérables moyens, un engagement très important des pouvoirs publics, des choix budgétaires suivis pendant des années, la mobilisation, l’acceptation et la patience des agents municipaux, des services et de tous les habitants.

Rien de plus politique, non plus, de plus profondément et radicalement politique que ce qui se montrait, se transmettait, bouillonnait au travers des spectacles donnés, de la prodigieuse inventivité et diversité des spectacles donnés, sauf que cette politique-ci, cette politique du corps et de l’émotion, de l’amour et du mensonge, de la vérité, de l’ambition, du subi et de l’irrépressible, cette politique-ci n’avait rien à voir avec celle qui se jouait, au même moment, sur les hauts tréteaux de la Capitale.

Ce qui se jouait, à Avignon, c’était la vie : les hommes, les femmes, les femmes et les hommes, le pouvoir, le plaisir, la peine, la mort, la pudeur, la délicatesse, la nostalgie, la trahison, la mauvaise foi, la séduction, l’indifférence, le mépris, l’aveuglement, le désir et la brutalité, la tendresse et la servitude. Ce qui se jouait, à Avignon, ce sont ces élans, ces tensions, ces liens, ces élasticités, ces transparences et ces opacités, ces relations au premier chef, ces relations toujours changeantes, inattendues, contrariées, qui font de notre vie, de notre vie avec nos semblables cette chose si extraordinaire, brutale parfois, douce souvent, une succession ininterrompue de surprises, de double-fond, de portes et de pistes qui se dévoilent et qui se ferment, et vis-à-vis desquelles il faut inventer, réinventer sans cesse.

Il y a un abîme entre ce qui était représenté à Avignon : des variations sur l’amour, la mort, le désir, l’espoir, la violence, les corps et la sensibilité, les corps, surtout, dans leur force, leur fragilité, leurs esquisses, leurs retenues, et la projection qui en était donnée sur la scène politique, où tout devient plus grossier, plus rigide, plus mécanique, plus vain.

Il est normal et sain que la projection sociale, et donc politique, des affaires humaines, diffère de la vision intimiste qu’en donne le théâtre : on ne mène pas la cité avec le coeur, la beauté, les émotions. Mais le hiatus, là, est si grand, entre la condition humaine mise en scène dans sa splendeur et ses affres, et ces querelles, ces querelles et ces jeux de pouvoirs.

Comme si la politique était tout simplement à côté de ce qui est important.


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