Si dolce è’l tormento

Le Pan du jardin du Luxembourg, un jour où le ciel était en feu

« Si dolce è’l tormento » sont les premiers mots d’une chanson composée par Claudio Monteverdi, qui glorifie les beautés de l’amour et de ses tourments. Il en existe (mais faut-il vraiment s’en étonner ?) une version religieuse qui, sur la même musique, et avec la même grâce, vante la douceur du martyr ; c’est elle qu’on peut entendre dans l’enregistrement.

Le morceau est magnifique, surtout quand (pour ce qui me concerne) c’est une voix féminine qui le chante. Tellement magnifique qu’il donne envie de connaître ces tourments, si joliment décrits, et de pouvoir, à notre tour, les éprouver.

Cette oeuvre me paraît assez symbolique  de l’être humain : nous sommes cette créature, cette étonnante créature qui a poussé si loin sa capacité à concevoir, à créer, à donner vie, substance et épaisseur à des mondes imaginaires et à les superposer au monde physique qu’elle leur accorde plus d’importance, de poids, de réalité qu’à celui-ci : nous vivons plus dans nos romans, nos films, nos mythes, nos représentations, nos fantasmes, nos préjugés, nos cauchemars et nos rêves que dans le monde matériel, et c’est sur ces constructions imaginaires que nous nous guidons pour penser, agir, aimer, vivre.

Il ne s’agit pas seulement d’une manigance  des puissants qui, nous abrutissant de pain et de jeux du cirque, endormiraient en nous la soif de liberté ; nous accordons effectivement plus d’importance aux jeux du cirque qu’à notre vie quotidienne et c’est cette primauté accordée à notre imaginaire et à nos représentations qui nous permet de ne pas être collés à la réalité, de pouvoir élaborer et suivre des plans, des stratégies de long terme, de sacrifier un plaisir immédiat à un gain sur la durée.

C’est parce que nous rêvons et accordons plus d’importance à nos rêves qu’à la réalité que nous ne sommes pas écrasés par celle-ci et pouvons nous en abstraire.

Ni le martyr, ni les tourments ne sont doux. Mais c’est au fait de le croire, à tout le moins à celui d’avoir le désir d’explorer les chemins noirs et secrets ouverts par l’expression d’un tel paradoxe, d’une telle contre-intuition, que  nous devons d’être libres car détachés de la toute puissance du concret, de l’immédiat, de l’ici et maintenant.

Et c’est de ce même détachement vis-à-vis du réel que peut naître notre esclavage.



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