Se mettre dans la peau d’une personne, c’est tenter l’expérience d’un lâcher-prise total durant lequel on se fie entièrement à ce que susurre, à ce que chuchote, à ce que hurle plutôt notre corps, ou plutôt le corps de cet être que nous essayons d’être, cet être que, magiquement, nous comprendrons probablement plus en le singeant qu’en l’étudiant, un scalpel et les ressources de l’esprit à la main.
Étiquette : théâtre
Il y a un abîme entre ce qui était représenté à Avignon : des variations sur l’amour, la mort, le désir, l’espoir, la violence, les corps et la sensibilité, les corps, surtout, dans leur force, leur fragilité, leurs esquisses, leurs retenues, et la projection qui en était donnée sur la scène politique, où tout devient plus grossier, plus rigide, plus mécanique, plus vain.
Ce qui nous rend si attachants et magnifiques (et parfois, malheureusement, méchants et maléfiques) ; ce qui fait de la compagnie de nos semblables un trésor passionnant et inépuisable, c’est cette polyvalence, cette versatilité, pour reprendre le mot anglais, qui me semble moins connoté de mécanique et de chimie que le terme français, plus aérien, plus juste
Habiter vraiment son rôle (ou sa fonction) est le seul moyen de lui donner vie et humanité, de lui ouvrir les chemins de la morale et du remords, et de lui permettre d’échapper à la fonction de rouage anonyme appliquant mécaniquement les consignes reçues.
Il y a, dans tout sentiment amoureux, l’ambition (la prétention ?), l’illusion peut-être, d’être celui ou celle par qui l’espérance, la joie et le salut se fraieront un chemin jusqu’au cœur de l’autre ; d’être le prince charmant dont les sentiments purs, l’amour vrai et le dévouement sauveront l’être aimé de son sommeil, du sort qui lui fut jeté, de ses peurs ; et lui permettront d’être enfin lui-même, d’être qui il ou elle est vraiment.
C’est toujours cette ambition un peu démesurée, un peu ridicule peut-être, d’être non pas la chose et son contraire mais la chose dans son entièreté, dans sa diversité, dans son épaisseur, sa gravité et sa légèreté, tout ensemble et pour le même prix : un homme ou une femme, tout simplement, pieds dans la terre et tête dans les étoiles.
Il n’y a d’authenticité, de vraie fidélité à soi-même que dans l’aboutissement, dans la pleine et totale réalisation de nos potentialités, dans l’effort mené jusqu’à son terme.
Le diable et les créatures de Jerome Bosch, les êtres démoniaques qu’on trouve dans toutes les cultures du monde et que tous les enfants cherchent sous leur lit la nuit venue, ne sortent pas de rien mais de là : il y a, au fond de nous, quelque chose de cruel qui palpite.
Si le théâtre est cathartique, pour les spectateurs et plus encore pour les acteurs, ce n’est pas seulement parce qu’il donne à voir des grands sentiments ; c’est surtout parce qu’il met sous la lumière la part d’ombre qui est en nous