La loi de la jungle

Le Douanier Rousseau,
Forêt tropicale avec singes (1910),
(c) National Gallery of Art, Washington

Lors d’une formation organisée par un de ces organismes qui, soit dit en passant, vivent largement des deniers publics, l’intervenant nous explique, un brin condescendant, que la vraie vie c’est le marché, et que le marché, c’est la loi de la jungle, où seul survit le plus fort.

Que ne va-t-il plus souvent dans la jungle ! Il suffit en effet de s’y promener, ou dans la forêt, ou même dans le bois pendant que le loup n’y est pas, pour constater, de ses propres yeux voir, que ce n’est pas parce qu’il y a le loup, le renard et la belette, la panthère, le lion, le crocodile ou l’ours que les autres animaux disparaissent. Au contraire même, ce qui caractérise les espaces sauvages et notamment la jungle et la forêt, c’est la prolifération et l’extrême diversité du vivant, à toutes les échelles, au rebours exact de l’idée fausse au gré de laquelle la loi du plus fort signifierait la disparition des plus faibles.

La loi de la jungle, et la sélection naturelle de façon plus générale, ne fait pas disparaître les moins forts pour conduire à un monde tristounet où ne survivraient que les loups, les T-Rex et les requins même pas marteau ;  la loi de la jungle, c’est la recherche continue de niches évolutives au sein desquelles des créatures animales ou végétales, petites et grandes, fragiles et robustes, peuvent prospérer les unes au milieu des autres, les unes avec les autres, dans une sorte de symbiose, un système équilibré d’échanges de bons procédés.

La loi de la jungle, ce n’est pas la loi du plus fort, c’est la loi du plus adapté, ou plutôt même la loi des adaptés, qui pousse chacun à trouver le lieu et le moment où il pourra, d’une façon ou d’une autre, coexister avec les autres, faire avec eux écosystème.

C’est bizarre comme l’évidence de l’extrême diversité du vivant, qui crève pourtant les yeux quand on se promène un peu dans une nature pas trop abîmée ou domestiquée par les humains, a été dénaturée, c’est le cas de le dire, par le pseudo-darwinisme social, cette construction idéologique bâtie sur un contresens complet, une incompréhension radicale de la façon dont le monde tourne.

Je me demande si cette manière d’interpréter l’évolution comme une lutte pour la domination de l’un au lieu d’y lire des stratégies collectives et imperceptiblement coordonnées de coopération, est le fait de l’être humain, empêtré dans ses gènes de grand prédateur chasseur, ou celui de l’homme masculin, aveuglé par les émanations babouines de la testostérone.

Mais quoi qu’il en soit, ouvrons les yeux : nous aurons vite fait de voir que la vraie jungle ressemble plus à celle du Douanier Rousseau qu’à celle des cours de management.


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