Gouverner, c’est mal faire

La porte du monastère Sainte-Marie du Désert, à Porquerolles

Depuis la désignation des membres du gouvernement Bayrou, on entend monter, de tous côtés, des lamentations diverses au motif que tel sujet n’a pas de ministère en titre, ou n’a pas de ministère d’Etat, ou qu’il n’est pas aussi haut dans l’ordre protocolaire qu’il le mériterait. Et ces lamentations sont similaires à celles qu’on entendait, il y a quelques semaines, quand, au moment d’essayer de boucler un budget dont l’objectif premier était de diminuer un déficit qu’il faudra bien un jour réduire, on voyait fleurir de toutes parts des propos expliquant que oui, bien sûr, il fallait réduire les dépenses, mais pas sur cette thématique là.  Et quand on dressait la liste de toutes les thématiques qui auraient dû rester en dehors des restrictions budgétaires parce qu’elles le méritaient, tout y était : l’énergie, la culture, la santé, l’éducation, l’agriculture, la justice, l’environnement, la défense, l’industrie, l’aménagement du territoire, la police.

Dans ce pays dévasté par des années de sous-investissement dans les services publics, d’abandon des universités, des hôpitaux, des banlieues ; dans ce continent menacé à la fois par l’effondrement de la biodiversité, la dégradation des espaces naturels, le changement climatique et une baisse inouïe de la compétitivité vis-à-vis des économies asiatiques et américaines ; dans ce monde ensanglanté par les impérialismes, les terrorismes, les massacres, les bombardements, les famines, les maladies, les catastrophes, l’abandon des migrants sur leurs bateaux à la dérive ou leur parcage dans des camps ; dans cette humanité qui n’a jamais été si nombreuse, si riche, si puissante, si inventive et si proche, pourtant, de la catastrophe et de l’anéantissement, que fait-on ? Où sont les priorités et où ne sont-elles pas ? Qui peut vraiment dire, de ce magma gluant et plein d’interactions et de rétroactions, qui peut vraiment dire ce qu’il convient de privilégier et ce sur quoi il serait mieux de faire une croix ? Qui peut le dire en assumant la responsabilité humaine et sociale des choix opérés et non pas seulement en conseillant, sous le couvert confortable d’une expertise qui n’a pas à assumer les conséquences de ses avis ?

Loin de moi l’idée d’absoudre nos gouvernants de leurs erreurs, de leurs aveuglements, de leurs lâchetés et de leurs petits profits, mais quand je regarde le monde, dans son épaisseur poisseuse, je me dis, comme les gammas et les epsilon du Meilleur des mondes, que je suis bien content de ne pas être ministre, et de ne pas avoir à gérer ce merdier. Et parce que la mauvaise foi m’est douloureuse, j’en veux à tous ces donneurs de leçons qui, du fond de leurs œillères d’experts de ceci ou cela, font comme si les choix étaient simples.

On ne peut pas tous, quand le navire coule, aller à Joshua Tree Park apprendre le yoga. Il faut parfois se défaire des habits de la pure Antigone, revêtir ceux du méchant Créon, et accepter de faire mal pour faire quelque chose.


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