Objets et sujets de désir

Guido Reni, Susannah and the Elders, 1620-5
Oil on canvas, 116.6 x 150.5 cm
Bought, 1844, NG196
https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/NG196

L’épisode biblique de Suzanne et les vieillards a inspiré nombre de tableaux qui, sous couvert de morale et de dénonciation du voyeurisme, flattent celui du spectateur. L’un de ceux que je préfère est celui de Guido Reni, exposé à la National Gallery de Londres, qui me paraît très sincère dans la mise en avant, en lumière, de la femme ; la mise en avant du beau corps de Suzanne, de sa chair pâle et rose et de son visage gracieux.

Dans le Livre de Daniel, le caractère odieux des vieillards provient du chantage qu’ils exercent sur Suzanne et qui s’apparente à un viol ; mais les représentations artistiques de la scène laisssent clairement entendre qu’il y a, dans le désir même des vieillards pour Suzanne, ou ne serait-ce que leur attirance pour sa beauté, quelque chose de scandaleux, d’obscène et de condamnable : même s’ils ne la menacaient pas, même s’ils n’abusaient pas, comme ils le font, de leur position et de leur statut, ils seraient considérés comme des vieillards indignes parce que lubriques.

Le désir, de façon générale ; le désir sexuel, de façon plus précise, est, sans doute à des degrés divers selon les circonstances, l’âge et je-ne-sais quels autres paramètres, une manifestation de la vie. Il peut rester parfaitement silencieux, peut parfaitement être maîtrisé et ne saurait être invoqué à l’appui de quelque violence que ce soit, mais il est là, Or parallèlement, l’expression, et même au fond du fond l’existence de ce désir, n’est socialement légitime que dans le regard, la bouche et la pensée de celles et ceux qui sont eux-mêmes désirables. Pour les autres, il devient une obscénité, une chose contre nature : on ne peut être légitimement sujet de désir qu’à condition d’être objet de désir, à tout le moins de pouvoir l’être. 

C’est pourquoi ne pas être (ou ne plus être) objet de désir, c’est, quand cela n’a pas été choisi (mais est-ce parfois vraiment choisi ou est-ce toujours seulement subi puis accepté ?) l’une des grandes peines de l’être humain, qu’il soit femme ou qu’il soit homme. Quand ce changement est lié à l’âge, il marque très précisément le passage du statut d’homme et de femme à celui de vieillard et de vieille femme, ces êtres qu’on peut naturellement respecter, bien aimer et chérir, mais qui sont un peu à part parce qu’on ne les désire plus.

C’est pourquoi aussi la course folle à la jeunesse ou à l’apparence de jeunesse n’est  pas seulement l’expression du désir de charmer, de plaire ou de séduire, pas seulement la manifestation un peu vaine d’une volonté de continuer à être objet de désir mais celle du souhait de continuer à être considéré comme pleinement membre du corps social, comme un être pouvant légitimement désirer car susceptible d’être désiré.


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2 Comments

  1. 18 janvier 2025
    Reply

    Je trouve très juste votre analyse sur le désir… et, accompagnant des personnes âgées (ou non !) en soins longue durée, je fais un lien (assez lointain peut-être) avec ce manque souvent exprimé de contact, parce que leur corps rebute celles et ceux qui les côtoient. Merci en tout cas pour cette réflexion.

    • 19 janvier 2025
      Reply

      Merci Marlen. Oui, je crois sue nous faisons tous ce lien et que nous l’incorporons et que, ce qui peut d’abord être vu comme une sorte de pudeur peut, dans certains cas, devenir une cause de repli absolu.

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