Pesanteur, pesanteur ?

Last updated on 3 avril 2025

Image générée par Midjourney

Dans une rue de Ménilmontant inondée de soleil, je pédalais joyeusement, partageant la bonne humeur des Parisiens qui vivaient ce jour-là une des premières belles journées de printemps, une de ces journées qui laissent ébahis, ravis, heureux de vivre.

Je descendais joyeusement, perché sur ma bicyclette, regardant avec plaisir le soleil dont l’éclat se reflétait un peu partout, les arbres en fleurs et les belles femmes et jolies filles qu’il m’était donné de croiser.

Mais revenant (merci Laurence Bouchet !) de la première journée d’un stage largement consacré à la pensée de Simone Weil, je me demandais s’il n’y avait pas, dans l’attardement de mon regard sur les corps féminins, un exemple de cette pesanteur dont parlait la philosophe, de cette pesanteur qui tous nous étreint comme tous nous étreint la gravité, nous poussant invariablement vers la bassesse si ce n’est vers le mal.

Et pourtant ! Pourquoi me serait-il loisible, et même crédité, d’admirer le soleil et les petites fleurs ; pourquoi cette admiration serait-elle considérée comme élevant l’âme (comme disait Guizot) alors qu’admirer les femmes serait bas et abaissant ?

Je comprendrais (peut-être) ce jugement si, comme le proclament les tartuffes de toutes les religions, le regard des hommes était irrépressiblement attiré par les femmes et ne faisait donc que céder à un instinct insurmontable. Mais c’est là évidemment du pipeau, l’argument faux des graines de violeurs : regardant une femme, je ne cède à aucune force irrépressible ; je reluque, de façon tout à fait volontaire, parce que cela me plaît, comme il me plaît parfois de béer devant un beau poème.

Où est la pesanteur dans cette affaire ? Serait-ce dans l’intention, parce que le regard complaisamment jeté sur les femmes (mais qu’elles soient dans les rues ou dans les œuvres qui embellissent les murs de nos musées) n’est jamais purement esthétique, quoi qu’en disent les hypocrites, mais toujours empreint d’une intention lubrique, pour employer ce mot si rigolo ?

Ou encore est-ce parce que, pour raisonner comme tous les tortionnaires depuis la nuit des temps, qu’ils soient inquisiteurs ou procureurs des procès de Moscou, on sent, au fond de soi, on sait, à la lumière aiguë de sa conscience, que ce regard, que cette concupiscence, sont du côté des figures grimaçantes et hideuses des diablotins qui, sur les porches de nos églises, tirent vers le bas le plateau pesant les âmes ?

Ce que me dicte pourtant mon intuition, cette intuition irrationnelle que je crois bien, au fond de moi, être du côté du vrai, et peut-être même de la grâce ; ce que je crois au fond de moi est qu’il n’est pire pesanteur que celle que subissent celles et ceux qui croient, par vanité et fol orgueil, s’en être libérés ; et que dans ces affaires où l’importance des choses se reconnaît au retournement, à l’hésitation continuelle de la conscience, le signe le plus clair de la pesanteur est ce besoin de vouloir trancher de façon définitive, cette incapacité à accepter, à embrasser la légèreté de l’être.


En illustration sonore, derrière ma voix, la chanson Ménilmontant, de Charles Trénet (Merci Antoine !) dans la version, que je préfère, de Patrick Bruel et Charles Aznavour.

Et en illustration visuelle, une image générée par Midjourney à partir du prompt suivant : « Dans une rue de Paris ensoleillée, par une fin de journée printanière, une très belle femme d’une quarantaine d’années, vêtue d’une robe, marche. Elle regarde la caméra. Photographie couleur 8K dans le style d’une couverture de magazine de mode« .


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2 Comments

  1. 30 mars 2025
    Reply

    Quelques réflexions … purement techniques : 1- Pesanteur et gravité ne sont pas tout à fait synonymes. La pesanteur et la gravité n’ont la même direction que vues de loin. 2- Il n’y a pas que les femmes qui attirent irrépressiblement le regard des hommes. J’ai horreur de la voiture et des voitures et je me retournerais facilement sur une Élise. 3- La pesanteur est en effet négative puisque elle va vers le bas alors que l’axe de nos références va plutôt vers le haut. Schuitten, François et Luc, ont imaginé une pesanteur vers le « haut » dans les Terres Creuses. Vive la pesanteur positive vers le bas !
    Beau dimanche à toi, Aldor.

    • 30 mars 2025
      Reply

      Oui, je simplifie un peu (ou plutôt : j’ai très probablement une conception trop simpliste et donc fausse des choses). Merci pour l’Elise (celle de Lotus), dont j’ignorais le nom. Vraiment, Gilles ?

      Il fut un temps (mais maintenant très lointain) où j’avais, par moment, une attirance presque érotique pour certaines motos. Mais qu’il est loin maintenant ! Et puis je ne pense pas que ce soit irrépressible ! Ca se réprime, ça se réprime. Mais pourquoi ? (tant que cela reste respectueux) ?

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