
J’aime bien, j’aime beaucoup les musées de province. Et tant pis si cette déclaration peut sembler condescendante, car elle ne l’est pas : j’aime beaucoup ces musées sans vanité où sont rassemblées en un seul lieu toutes les disciplines, toutes les expressions, toutes les créations issues d’une région (à moins qu’elles n’y aient atterri par le hasard des choses, la curiosité ou la persévérance des lignées de conservateurs), de l’archéologie à l’architecture, en passant par la peinture, les arts décoratifs, la sculpture et les savoir-faire.
Je ne les connais pas tous, évidemment. Mais le MAAP, à Périgueux, le Musée Sainte-Croix, à Poitiers, le MuMiG, à Millau, les différents musées rassemblés, à Strasbourg, dans le palais Rohan, le musée des Beaux-arts, à Lille, la Piscine, à Roubaix, le musée des beaux-arts, à Rouen, le musée Rolin, à Autun, ces musées que je connais un peu sont ceux que je préfère car on y trouve toute la gamme, tout l’alphabet des oeuvres et expressions humaines réunies là sans ce souci d’ordonnancement, de classification, d’exhaustivité qui, à trop vouloir édifier, à trop vouloir être la référence, réduit et ennuie, comme ennuie cette grande galerie du Louvre où l’on ne voit plus rien tellement il y a à voir, tellement on est noyé.
Je trouve à cet égard les musées de province, ces musées complets, universaux, ces musées Pic de la Mirandole non seulement plus rassurants, plus chaleureux, plus agréables ; mais plus propices aussi à l’ouverture des chakras, au décloisonnement de l’esprit, au plaisir de la complétude et de la découverte. Ils sont comme ces dictionnaires dont les pages feuilletées nous conduisent d’un mot à l’autre, ou comme ces anciens catalogues de bibliothèques, contenus dans des tiroirs de bois ou de métal, dont les fiches cartonnées propulsaient d’une idée à une autre au seul gré du hasard oulipien de l’alphabet. C’est en circulant d’une salle à l’autre, d’un art ou d’une technique à l’autre de ces musées totaux qu’on peut vraiment appréhender le génie humain, vraiment prendre la mesure de la diversité de talents, de passions, de connaissances, de savoir-faire qui émane d’une communauté de femmes et d’hommes.
C’est dans ces lieux, qui furent souvent construits petitement, par des efforts successifs et dépourvus chacun de prétention, que l’on peut, loin des capitales et de leurs musées-mondes, percevoir le mieux la mission et le sens des musées : non pas l’esbrouffe et la quête du record, mais la collecte patiente, la protection, la mise à disposition du beau, du précieux, du remarquable. Collecter, protéger et montrer tout ce qu’il y a voir, dans tous les domaines de l’esprit, de la main et de l’outil.
Grâces donc soient rendues aux musées de province, ces héritiers de l’Encyclopédie.
L’image d’illustration est un détail du magnifique tableau Weeping Venus, de Romaine Brooks, conservé au musée Sainte-Croix, à Poitiers.

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