
Êtres de désirs, de projets, et aussi de souvenirs, nous ne sommes jamais complètement dans l’ici et maintenant, dans cet immédiat qui nous environne. Une part de nous toujours est tendue vers autre part, vers ailleurs, vers alors.
Je connais le conseil des sages, des bouddhas, des Krishnamurti et autres zénitudes, cette imploration à vivre, à chaque instant, dans l’instant qui est là, à concentrer son attention en ce présent qui est (ils ont raison !) la seule réalité, la seule chose qui soit vraie.
Je connais le conseil des sages.
Mais nous sommes ces êtres qui à chaque instant rêvent, imaginent, se souviennent : à chaque instant s’étendent au-delà d’eux-mêmes ; à chaque instant projettent leurs pensées, leurs espoirs, leur regrets dans l’espace et le temps comme la méduse ses tentacules dans le flux du courant : nous sommes ici mais là aussi, et là encore, et alors et tantôt. Nous sommes quantiques, cantiques peut-être et chats de Schrodinger.
Dans la méditation même, où sommes-nous ? Est-ce dans la respiration, le souffle, les membres, les bruits ? Dans le silence qui vient ou plutôt ne vient pas ? Dans le calme qui se guette ? Est-ce dans cette attente qui n’en finit pas, dans le sommeil qui nous ouvre ses bras ? Dans la conscience qui les repousse, les repousse pour ne pas tomber, ne pas sombrer dans le monde des rêves, cette conscience déplacée, cette conscience dépassée ?
Toujours ailleurs, jamais ici, jamais complètement ici, tendus vers le projet, vers l’objet du désir, étalés du passé qui nous pèse aux lendemains qui chantent, et nous, pontifex au milieu, tendus de cette tension qui nous fait avancer comme la carotte devant le museau de l’âne, ce désir d’autre qui nous tient éveillés.
Peut-être les très vieilles personnes sont elles celles au bout de leur vie, au bout de leur rouleau, celles que plus rien ne rattache au futur, qui n’ont plus de demain parmi les chambres de leur palais mental, plus de liens qu’avec les souvenirs, plus de mémoire que des choses passées : l’avenir devenant gouffre.
La mort est ce moment où tout se focalise, où tout se réunit, une implosion de nos émanations dans un maintenant qui devient tout, qui occupe toute notre conscience. C’est alors, et alors seulement, au moment de rejoindre le néant, que, pour la première et dernière fois nous épousons vraiment l’instant présent, en cet instant où nous devenons chose.
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