
J’aime beaucoup, je le disais l’autre jour, le personnage d’Alceste, dans Le Misanthrope, cet Alceste dont l’intransigeance et la rigueur se décomposent dès qu’il s’agit de Célimène, cette jeune femme dont il est amoureux.
Cet Alceste que l’amour transporte et élève hors de lui-même me touche. Mais je me rends compte, me découvrant moi-même au miroir qu’il me tend ; je me rends compte que, dans la misanthropie comme dans l’amour, une chose demeure et brille en toutes circonstances, chez lui, sa lourdeur.
Alceste est lourd, sérieux ; il prend tout à coeur : les choses qui n’ont, au fond, aucune importance, comme les plus essentielles, ses affaires de cœur, justement, qui devraient alimenter sa joie mais qu’il assombrit et mine assidûment de sa lourdeur, de son sérieux, de son incapacité à « prendre une distance suffisante », comme me dit Claude.
C’est fou comme, à force d’avoir peur et d’avoir toujours besoin de réassurance, il se pourrit la vie, sape jusqu’à ses amours et devient la cause la plus directe de ce qu’il dit craindre mais qu’il provoque, en fait, et suscite, mot après mot, tirade après tirade, déclaration solennelle après déclaration solennelle, par son incapacité à gérer la fluidité des choses, à accepter, quoi qu’il en dise, de prendre des risques ; son besoin constant d’être sûr et certain de ce qui meurt, justement, ou s’anémie de le devenir. Et comment Célimène, qui est le mouvement et la grâce, une danseuse sans doute, elle aussi ; comment Célimène pourrait-elle ne pas fuir cette incarnation de la pesanteur et de la gravité, même si, probablement elle l’aime bien, et même si son propre attachement au frivole et au léger n’est en fait (et Alceste le sait) qu’une autre façon, inverse mais symétrique, de fuir l’angoisse, la même immense et insondable angoisse.
Oui, je me reconnais, dans cet Alceste, dans sa maladresse, dans l’incroyable instinct qui le pousse à toujours faire le contraire de ce qu’il serait bon de faire, à toujours poser la question qu’il vaudrait mieux ne pas poser, et qui, ayant reçu la réponse qu’il craignait de recevoir, persévère néanmoins parce qu’il est un peu fou, ou peut-être (mais c’est la même chose) parce qu’il préfère la beauté de ses rêves à la noirceur de la réalité.
Enfin, « la beauté de ses rêves », pas vraiment, ou pas seulement. Car la vraie noirceur d’Alceste n’est pas son esprit de sérieux ou sa peur, c’est son souhait de les dépasser ou de les annihiler en enfermant Célimène dans son désert, dans un « nous », dans une cage, ce qui revient (mais il ne s’en rend pas compte) à la tuer, à la sacrifier au nom de son amour pour elle.
Et de cela, il ne saurait être pardonné.
En illustration (créée à partir d’un croquis grandement amélioré par l’IA de Samsung), un vieux hibou inquiet. Je m’imagine bien, moi comme Alceste, ainsi.
En illustration musicale, derrière ma lecture, Someone like you, d’Adèle, dont la mélancolie, déchirante mais lourde, comme celle d’Alceste et la mienne, résonne bien avec mon propos.
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