Il ne s’agit pas ici de science

Ce qui rend les choses dont je parle ici intéressantes est leur caractère erratique, instable, indéfiniment inversable : on avance dans une direction mais on s’aperçoit que plus loin on chemine, plus grandes sont les chances de se retrouver brutalement ailleurs, et même à l’opposé de la direction initialement suivie. Ainsi, on croyait avancer dans le chemin de l’altruisme et de l’humilité, et on réalise, dans un éclair, qu’on est plutôt engagé dans la voie de l’orgueil et de l’égoïsme; on croyait descendre et on montait ; on croyait s’étendre et on se refermait ; on croyait inspirer et on expirait. Et tout à l’avenant, continuellement, dans toutes nos tentatives et toutes nos avancées. On est, dans les matières et disciplines que j’évoque au long de ces billets et enregistrements, plongés comme dans un monde circulaire, comme dans un de ces trous de ver astronomiques évoqués par les théories et dans lesquel chaque chose est infiniment proche de son contraire, et où la Roche Tarpéienne n’en finit pas de cotoyer le Capitole.

Qui veut trop faire l’ange fait la bête, disait déjà Pascal, et Thérèse d’Avila mettait déjà ses soeurs en garde contre l’orgueil qui se nichait souvent au coeur des pratiques de mortification. Mais au-delà, toutes les choses dont je parle ici ont comme une qualité vibratoire : un peu plus, et elles tombent d’un côté ; un peu moins, et elles tombent de l’autre : pour renaître, il faut accepter de mourir ; pour régner, savoir se faire esclave,  et c’est en son propre tréfonds qu’on trouverait l’ouverture la plus totale sur le monde. Que nul n’entre donc ici s’il est géomètre, à moins que ce ne soit géométrie paradoxale dans la multidimensionnalité de laquelle tout les références s’abolissent.

Ces idées agitées me conduisent, dans mon enregistrement, à Karl Popper et à sa compréhension de la science. Il me semble clair qu’on en est ici très loin : ce dont je parle au fil de ces pages appartient éminemment au monde du non réfutable, du non-démontrable, du non-scientifique, et accentuent cette appartenance le caractère intrinsèquement vacillant, mouvant, indécis, de nos pensées et de l’appréciation que nous portons sur nos actions. Pas de science dure, ici ; seulement du visqueux, de l’épais, du fractal hésitant toujours entre le noir et le blanc, le bien et le mal, le rien et le tout.

Et c’est cela qui est passionnant. C’est justement parce que, dans ces domaines, la question se pose à chacun des nos pas de savoir si nous nous approchons ou nous éloignons de l’abime, c’est justement parce que rien n’est jamais sûr, rien n’est jamais certain que notre attention doit être toujours en éveil, jamais satisfaite, jamais étale.

Nous sommes dans l’indécision créatrice. Pascelle de l’âne de Buridan, l’autre. Dont elle est si proche et pourtant si éloignée.

CQFD.

Aldor Écrit par :

3 Comments

  1. 6 avril 2017
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    Un billet qui tombe à pic pour moi, merci 🙂 !

    • 6 avril 2017
      Reply

      Ah ? Eh bien, tant mieux !

  2. 6 avril 2017
    Reply

    Je n’ai pas encore écouté l’enregistrement, seulement lu le texte, mais c’est un point passionnant que vous évoquez ! Merci !

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