Quand on cherche on ne trouve pas


 

“Quand on cherche, on ne trouve pas“, me disait Katia l’autre jour, et j’en suis bien certain. Je crois l’avoir toujours su, inconsciemment, et il y a quelques années que je le sais, de façon consciente. J’en avais d’ailleurs parlé, à l’occasion de tours du Luxembourg.

Edgard Pisani aussi, pensait cela, qui me disait que, pour observer le monde, il aimait à le regarder les yeux mis-clos, pour mieux voir surgir les choses dans la sorte de brouillard où le plongeait sa myopie. Mylène aussi, d’ailleurs, dit cela.

Il y a dans ce phénomène une dimension physiologique : nos yeux sont faits pour guetter l’arrivée impromptue des bêtes féroces dont nous serions la proie et c’est sur le côté qu’ils distinguent le mieux le mouvement. D’en face, on voit bien le détail des choses mais c’est de côté qu’on distingue le mouvement et les étoiles filantes dans la nuit.

Et puis il y a ce que dit Simone Weil des études scolaires. Que, pour résoudre un problème, il ne faut pas se concentrer dessus mais l’observer de façon détournée, s’éloigner et s’approcher de lui dans une sorte de spirale, de mouvement de danse.

C’est encore une de ces vibrations des choses que j’aime tant : quand on cherche, on ne trouve pas et c’est quand on ne cherche pas qu’on trouve, dans un renversement dialectique et magique plein de charme et de grâce, et qui est peut-être un des visages de la Grâce.

Ne pas chercher, mais ne pas oublier cependant la question, l’interrogation, cette absence qui bée. Rester dans l’attention et l’éveil, pour être à même de voir ce qui, sinon, pourrait rester dans l’ombre et l’inaperçu. Faire effort pour demeurer dans cet entre-deux du monde où les choses ne sont pas rangées, tranquilles, dans des boites et des cases mais mouvantes, vibrantes, pleines de possibles surprises.

Tel est l’objet de cette improvisation.

Aldor Écrit par :

7 Comments

  1. 22 mai 2017
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    La pensée de Simone Weil me rappelle ce phénomène optique qui a lieu lorsque l’on cherche à fixer du regard une étoile peu lumineuse. L’image se reflète dans la « tache aveugle » de la rétine, et on la voit moins bien que si on regarde un peu à côté…
    Comme toujours chez toi, un sujet très dense. J’aime.
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • 22 mai 2017
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      Oui. Les étoiles. Et mes étoiles filantes qu’on aperçoit beaucoup mieux quand on a le regard ailleurs…

      Merci, Célestine.

  2. 23 mai 2017
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    Quand on cherche on ne trouve pas parce que l’instant qui correspond à notre trouvaille glisse comme le sable entre les doigts. Le temps est furtif et aussitôt que nous croyons appréhender le monde il s’effondre sous nos pieds. Je trouve beaucoup de profondeur dans vos articles. Amitiés.

    • 24 mai 2017
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      Bonjour, Charef.

      Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous m’écrivez : que ce que nous trouvons fuit dans le passé à peine l’avons nous trouvé ? Et qu’il est donc insaisissable par nature ? Peut-être.

      Merci de vos gentilles paroles, en tous les cas.

  3. Cher Aldor, j’éprouve en ce moment même ce dont vous parlez. Quand on cherche, notre esprit est comme absorbé à sa propre recherche, et donc incapable de “capter”, comme vous dites, une vibration furtive qui serait sa trouvaille, s’il ne la cherchait pas. Ne pas chercher, mais avoir les yeux ouverts et attentifs, sans autre but que de voir, véritablement voir. Se laisser surprendre. C’est un fragile équilibre, difficile à trouver, il me semble.

    Enfin, votre improvisation fait écho à une discussion tenue avec des amis psychanalystes. Pour mieux entendre les vérités profondes et inconscientes affleurer aux lèvres des patients, ils disent se placer dans un état de “conscience flottante”, yeux mi-clos. Ils ne cherchent pas à comprendre ce que dit le patient, mais ils laissent se créer les échos fertiles et vrais, et se donnent, par cette posture intermédiaire entre l’absence et la présence, la possibilité de les capter. Ce qui est intéressant c’est que cette posture implique la façon d’écouter et d’entendre, la posture physique, relâchée et relativement immobile, le regard mi-clos, et l’état de conscience.

    • 24 mai 2017
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      Oui, Clémentine. Comme dans la méditation (ou la gymnastique ? ) : être souple, alerte, dynamique mais pas tendu… Quelque chose qui est un exercice en soi et qui n’est effectivement pas facile, comme vous dites. Mais on essaie…

  4. 3 novembre 2019
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    […] Comme on en a tous fait l’expérience et comme cela est bien exposé par Simone Weil dans Réflexions sur le bon usage des études scolaires en vue de l’Amour de Dieu, cette focalisation de l’attention n’est pas la plus efficace : pour percer une énigme, saisir un sens, comprendre quelque chose qui nous échappe, il vaut beaucoup mieux que l’attention soit légère, décalée, décentrée : c’est quand on ne cherche pas qu’on trouve. […]

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